feray donc voir, mes Peres, que vostre intention est
de mentir et de calomnier ; et que c'est avec
connoissance et avec dessein, que vous imposez à vos
ennemis des crimes dont vous sçavez qu'ils sont
innocens ; parceque vous croyez le pouvoir faire sans
dechoir de l'estat de grace. Et quoy que vous sçachiez
aussi bien que moy ce point de vostre Morale,
je ne laisseray pas de vous le dire, mes Peres, afin
que personne n'en puisse douter, en voyant que je
m'addresse à vous, pour vous le soûtenir à vous-mesmes¹,
sans que vous puissiez avoir l'assurance de
le nier, qu'en confirmant par ce desaveü mesme, le
reproche que je vous en fais ². Car c'est une doctrine
si commune dans vos escoles, que vous l'avez soùtenuë
non seulement dans vos livres, mais encore
dans vos theses publiques, ce qui est la derniere
hardiesse ; comme entr'autres dans vos thèses de Louvain
de l'année 1645³. en ces termes : Ce n'est qu'un
peché veniel de calomnier et d'imposer de faux crimes,
pour ruïner de creance ceux qui parlent mal de nous :
Quidni non nisi veniale sit, detrahentis autoritatem
magnam, tibi noxiam, falso crimine elidere ? Et cette doc-
___________________________________________________________
1. Cf. Pensées, fr. 921, T. III, p. 347 : « Je veux vous le dire à vous-mesmes afin que cela ait plus de force. »
2. Nicole réplique à la Réponse à la 15e Provinciale du Père Nouet et à l'Apologie pour les Casuistes dans ses trois notes : « Que la doctrine des Jesuites sur la calomnie est fausse, erronée et heretique. — Mauvaise foi de l'Apologiste sur les exemples que Montalte rapporte des calomnies des Jésuites. — De la delicatesse des Jesuites, qui se plaignent qu'on les a traitez trop durement, parce que Montalte dit qu'ils mentent impudemment. » Et il ajoute un « Catalogue des calomnies de l'Apologiste des Casuistes. »
3. Sur ces thèses de Louvain, cf. supra p. 170 sq. et la note.