Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour aller à Dieu, toute créature doit être également anéantie devant l’infinité de Dieu. Si la charité est une grandeur supérieure et irréductible à l’esprit, autant que l’esprit est lui-même supérieur et irréductible au corps, cette hiérarchie est non un progrès continu, comme chez les philosophes, mais, encore une fois, un renversement continuel du pour au contre.

Le charité est inverse de l’esprit. Archimède, dans la conscience de sa liberté spirituelle, s’attribue à lui-même le mérite de ses inventions, il se glorifie dans l’éclat de la vérité qu’il a mise au jour par la force propre de sa raison[1]. La charité seule déracine l’orgueil philosophique qui a cru concilier l’amour de Dieu avec l’amour de l’homme ; elle demande à l’homme non pas de s’abaisser, mais d’être bas, non pas la fausse humilité qui est une marque de l’orgueil, mais l’humiliation véritable qui est la conscience de n’avoir plus rien à soi, pas même les mouvements de grandeur par lesquels on monterait de quelques degrés vers le désintéressement de la volonté.

On ne saurait posséder effectivement la grâce si l’on n’a le sentiment de ne pas l’avoir méritée, bien plus le sentiment de ne pas l’avoir reçue soi-même, si l’on ne s’est effacé, « renoncé » devant un être d’essence supérieure qui ne se contente pas de nous apporter la grâce, qui habite en nous pour que la grâce y demeure. La rédemption n’est pas un événement historique qui aurait ramené la nature de l’homme à son intégrité originelle, et l’aurait rendu apte à communiquer directement avec Dieu ; Jésus-Christ est éternel ; c’est une nécessité perpétuelle que non seulement en chaque individu, mais à chaque moment

  1. Fr. 793.