Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/164

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qu’on a donnés à ses pensées, et qu’il les aurait mises lui même en cet état s’il avait vécu davantage et s’il avait eu le loisir de les repasser, puisque l’on n’a rien mis que de nécessaire et qui vient naturellement dans l’esprit à la première lecture qu’on fait des fragments, je ne vois pas que vous puissiez raisonnablement et par un scrupule que vous me permettrez de dire qui serait très mal fondé, vous opposer à la gloire de celui que vous aimez. Les autres ouvrages que nous avons de lui nous disent assez qu’il n’aurait pas laissé ses premières pensées en l’état qu’il les avait écrites d’abord ; et quand nous n’aurions que l’exemple de la 18e Lettre qu’il a refaite jusqu’à la 13 fois, nous serions trop forts, et nous aurions droit de vous dire que l’auteur serait parfaitement d’accord avec ceux qui ont osé faire dans ses écrits ces petites corrections, s’il était encore en état de pouvoir nous dire lui même son avis. C’est, madame, ce qui a fait que je me suis rendu au sentiment de M. de Roannez, de M. Arnauld, de M. Nicole, de M. du Bois et de M. de la Chaise, qui tous conviennent d’une voix que les pensées de M. Pascal sont mieux qu’elles n’étaient, sans toutefois qu’on puisse dire qu’elles soient autres qu’elles étaient lorsqu’elles sont sorties de ses mains, c’est-à-dire sans qu’on ait changé quoi que ce soit à son sens ou à ses expressions. Car d’y avoir ajouté de petits mots, d’y avoir fait de petites transpositions, mais en gardant toujours les mêmes termes, ce n’est pas à dire qu’on ait rien changé à ce bel ouvrage. La réputation de M. Pascal est trop établie pour que le public s’imagine, lorsqu’il trouvera ces fragments admirables, et plus suivis et plus liés si vous voulez qu’il n’appartient à des fragments, que ce soient d’autres personnes que M. Pascal qui les aient mis en cet état. Cette pensée ne viendra jamais à personne, et on ne blessera point la sincérité chrétienne même la plus exacte en disant qu’on donne ces fragments tels qu’on les a trouvés et qu’ils sont sortis des mains de l’auteur, et tout le reste que vous dites si bien et d’une manière si agréable que vous m’entraîneriez à votre sentiment, pour peu que je visse que le monde fût capable d’entrer dans les soupçons que vous appréhendez. L’ouvrage, en l’état qu’il est, est toujours un fragment, et cela suffit pour que tout ce que l’on a dit et que vous voulez qu’on dise soit véritable.