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Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/342

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qu’ils n’ont jamais vues dans le monde, et tout à fait hors d’usage[1].

  1. Il y a dans ce fragment plus que l’analyse de deux tendances fondamentales dans l’esprit humain, ou de deux familles d’esprits ; il convient d’y voir une autobiographie intellectuelle de Pascal. Dans sa première rencontre avec Méré, il lui apparaît « un grand mathématicien et qui ne savait que cela ». Méré le forma, du moins il lui écrivait sur ce ton : « Il vous reste encore une habitude que vous avez prise en cette science à ne juger de quoi que ce soit que par vos démonstrations qui le plus souvent sont fausses. Ces longs raisonnements tirés de ligne en ligne vous empêchent d’entrer d’abord en des connaissances plus hautes qui ne trompent jamais. Je vous avertis aussi que vous perdez par là un grand avantage dans le monde ; car lorsqu’on a l’esprit vif et les yeux fins, on remarque à la mine et à l’air des personnes qu’on voit quantité de choses qui peuvent beaucoup servir, et si vous demandiez, selon votre coutume, à celui qui sait profiter de ces sortes d’observations, sur quel principe elles sont fondées, peut-être vous dirait-il qu’il n’en sait rien, et que ce ne sont des preuves que pour lui. » Et la distinction des deux sortes d’esprits se retrouve dans les œuvres de Méré : « Pour ce qui est des justesses, j’en trouve de deux sortes, qui font toujours de bons effets. L’une consiste à voir les choses comme elles sont et sans les confondre : pour peu que l’on y manque en parlant, et même en agissant, cela se connaît ; elle dépend de l’esprit et de l’intelligence. L’autre justesse paraît à juger de la bienséance, et à connaître en de certaines mesures jusqu’où l’on doit aller, et quand il se faut arrêter. Celle-ci qui vient principalement du goût, et du sentiment, me semble plus douteuse, et plus difficile. » (Méré, Discours désagréments, t. I, p. 194.)

    Malheureusement, aux yeux de Pascal, Méré ignore la portée véritable de cette distinction, qu’il a peut-être suggérée à Pascal : voyant que l’esprit de finesse est supérieur dans le monde à l’esprit de géométrie, il le transporte hors du monde et jusque dans la géométrie. Il écrit, dans la suite de la lettre que nous venons de citer : « Vous demeurerez toujours dans les erreurs où les fausses démonstrations de la géométrie vous ont jeté, et je ne vous croirai point tout à fait guéri des mathématiques tant que vous soutiendrez que ces petits corps dont nous disputâmes l’autre jour se peuvent diviser jusques à l’infini. Ce que vous m’en écrivez me paraît encore plus éloigné du bon sens que tout ce que vous m’en dites dans notre dispute. Et que prétendez vous conclure de cette ligue que vous coupez en deux également, de cette ligne chimérique dont vous coupez encore une des moitiés, et toujours de même jusqu’à l’éternité ; mais qui vous a dit que vous