Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/371

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connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : « siècle d’or, merveille de nos jours, fatal », etc. ; et on appelle ce jargon beauté poétique[1].

Mais qui s’imaginera une femme sur ce modèle-là, qui consiste a dire de petites choses avec de grands mots, verra une jolie damoiselle toute pleine de miroirs et de chaînes[2], dont il rira, parce qu’on sait mieux en quoi consiste l’agrément d’une femme que l’agrément des vers. Mais ceux qui ne s’y connaîtraient pas l’admireraient en cet équipage ; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine ; et c’est pourquoi nous appelons les sonnets faits sur ce modèle-là les reines de village[3].

  1. « Cicéron a cru et quelques autres avant Cicéron qu’en chaque langue les Poètes avaient une langue à part, séparée et distincte de la vulgaire… Et quand tout le monde serait capable de ce jargon, je crois avoir déjà dit qu’il n’a lieu que dans la licence de la raillerie. » (Balzac, Dissertation à M. Conrart.) Balzac cite à l’appui de ses réflexions des exemples tels que : des raisons aussi fortes que les Armes qui avaient été forgées par Vulcain ; les cyprès du Parnasse et les Aigles de Sion. Pascal a cherché des exemples plus simples, et qui paraisssent empruntés à Malherbe.
  2. La pensée de Balzac et de Pascal a été reprise, comme le remarque Sainte-Beuve, par Montesquieu : « Ce sont ici les poètes, c’est-à dire les auteurs dont le métier est de mettre des entraves au bon sens, et d’accabler la raison sous les agréments, comme on ensevelissait autrefois les femmes sous leurs parures et leurs ornements » (Lettres Persanes, 137).
  3. Balzac avait déjà dit, en parlant des paraphrases familières aux traducteurs des apôtres : « Ne pensez pas leur faire plaisir, de leur prêter si libéralement, et sans qu’ils en aient besoin, vos épithètes et vos métaphores ; de les charger de votre alchimie et de vos diamants de verre, ou si vous voulez que j’en parle plus nettement, de votre bon or et de vos perles orientales. Ces ornements les déshonorent, ces faveurs les désobligent. Vous pensez les parer pour la cour et pour les jours de cérémonie, et vous les cachez comme des mariées de village sous vos affiquets et sous vos bijoux. Vous voulez leur rendre