Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/418

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nous ne pouvons rien du tout connaître, et si nous sommes composés d’esprit et de matière, nous ne pouvons connaître parfaitement les choses simples[1], spirituelles ou corporelles.

De là vient que[2] presque tous les philosophes confondent les idées des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles corporellement[3]. Car ils disent hardiment que les corps

  1. À la page 360 du manuscrit. — [Car comment connaîtrions-nous distinctement la matière, puisque notre suppôt qui agit en cette connaissance est en partie spirituel, et comment connaîtrions-nous nettement les substances spirituelles, ayant un corps qui nous aggrave et nous baisse vers la terre ?]
  2. [Tous.]
  3. Havet a fort à propos rapproché de ce passage un texte de saint Augustin qu’Arnaud avait traduit en 1656 : « Voulant connaître par l’esprit et par l’intelligence les choses corporelles et voir par les sens les spirituelles ; ce qui ne se peut » (De la véritable religion, ch. xxxiii, sub fine). — Ce passage est développé et commenté dans la Logique du Port-Royal : « Ainsi, trouvant en nous-mêmes deux idées, celle de la substance qui pense, et celle de la substance étendue, il arrive souvent que lorsque nous considérons notre âme, qui est la substance qui pense, nous y mêlons insensiblement quelque chose de l’idée de la substance étendue, comme quand nous nous imaginons qu’il faut que notre âme remplisse un lieu, ainsi que le remplit un corps, et qu’elle ne le serait point, si elle n’était nulle part, qui sont des choses qui ne conviennent qu’au corps, et c’est de là qu’est née l’erreur impie de ceux qui croient l’âme mortelle. On peut voir un excellent discours de saint Augustin sur ce sujet, dans le livre X de la Trinité, où il montre qu’il n’y a rien de plus facile à connaître que la nature de notre âme ; mais que ce qui brouille les hommes est que, voulant la connaître, ils ne se contentent pas de ce qu’ils en connaissent sans peine, qui est que c’est une substance qui pense, qui veut, qui doute, qui sait ; mais ils joignent à ce qu’elle est ce qu’elle n’est pas, se la voulant imaginer sous quelques-uns de ces fantômes sous lesquels ils ont accoutumé de concevoir les choses corporelles. Quand d’autre part nous considérons les corps, nous avons bien de la peine à nous empêcher d’y mêler quelque chose de l’idée de la substance qui pense ; ce qui nous fait dire des corps pesants, qu’ils veulent aller au centre ; etc. » (II, viii).