Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/117

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— Eh ! pourquoi l’appelez-vous Fontenoy ?

— Parce qu’à la bataille de Fontenoy, il a fait un capitaine anglais prisonnier.

— Eh ! comment donc cela ? fit mon oncle tout émerveillé.

— D’une manière fort simple, en l’arrêtant par une des basques de son habit, jusqu’à ce que je puisse lui mettre la main sur l’épaule ; tel qu’il est Fontenoy a été mis à l’ordre de l’armée et a eu l’honneur d’être présenté à Louis XV, qui a daigné me dire : « Sergent Duranton, vous avez là un beau chien ! »

— Voilà un roi bien affable pour les quadrupèdes ; je m’étonne qu’il n’ait pas donné des lettres de noblesse à votre caniche. Comment se fait-il donc que vous ayez quitté le service d’un si bon roi ?

— Parce qu’on m’a fait un passe-droit, dit le sergent, l’œil rutilant et la narine gonflée de colère ; il y a dix ans que j’ai ces guenilles d’or sur le bras ; j’ai fait toutes les campagnes de Maurice de Saxe, et j’ai sur le corps plus de cicatrices qu’il n’en faudrait pour faire deux états de service. Ils m’avaient promis l’épaulette ; mais nommer officier le fils d’un tisserand, c’eût été un scandale à faire horripiler toutes les ailes de pigeon du royaume de France et de Navarre. Ils m’ont fait passer sur le corps une espèce de petit chevalier tout frais éclos de sa coquille de page. Ça saura se faire tuer tout de même, car ils sont braves ; on ne peut leur refuser cela ; mais ça ne sait pas dire : Tête… droite !

À cette parole de la théorie fortement accentuée par le sergent, le caniche tourna militairement la tête à droite.

— Tout beau, Fontenoy ! fit son maître ; tu oublies que nous sommes retirés du service ; et il reprit : Je n’ai pu passer cela au roi très chrétien ; dès ce moment, je me suis brouillé avec lui, et je lui ai demandé mon congé, qu’il m’a gracieusement accordé.