Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/235

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Mais, dans le siècle de mon oncle Benjamin, les choses allaient tout autrement : c’était l’âge d’or des accoucheurs et des sage-femmes. Les femmes s’abandonnaient sans inquiétude et sans arrière-pensée à leurs instincts ; riches ou pauvres, elles faisaient toutes des enfants, et même celles qui n’avaient pas le droit d’en faire. Mais, ces enfants, on savait alors où les mettre ; la concurrence, cette ogresse aux crocs d’acier qui dévore tant de petites gens, n’était pas encore arrivée. Tout le monde trouvait place au beau soleil de la France, et dans chaque profession on avait ses coudées libres. Les emplois s’offraient d’eux-mêmes, comme le fruit qui pend à la branche, aux hommes capables de les remplir, et les sots eux-mêmes trouvaient à se caser, chacun selon la spécialité de sa sottise ; la gloire était aussi facile, aussi bonne fille que la fortune ; il fallait deux fois moins d’esprit qu’à présent pour être homme de lettres, et avec une douzaine d’alexandrins on était poète. Ce que j’en dis, ce n’est pas que je regrette cette fécondité aveugle de l’ancien régime, qui produisait comme une machine sans savoir ce qu’elle faisait : je me trouve bien assez de voisins comme cela ; je voulais seulement vous faire comprendre comment, à l’époque dont je parle, ma grand’mère, quoiqu’elle n’eût pas encore trente ans, en était déjà à son septième enfant.

Ma grand’mère donc en était à son septième enfant.

Mon oncle voulait absolument que sa chère sœur assistât à sa noce, et il avait fait consentir M. Minxit à remettre le mariage après les relevailles de ma grand’mère. Le trousseau du nouvel arrivant était tout fait, tout blanc, tout festonné, et de jour en jour on attendait son entrée dans l’existence. Les six autres enfants étaient tous vivants, tous enchantés d’être au monde. Il manquait bien quelquefois à l’un une paire de sabots, à l’autre une casquette, tantôt celui-ci était percé au coude, et tantôt celui-là au talon, mais le pain quotidien abondait ; tous les dimanches ils avaient leur chemise blanche