Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/281

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aussi captif sur la terre que le pauvre prisonnier entre les hautes murailles de la prison ?

— Messieurs, dit Page, il faut convenir d’une chose : la prison est trop bonne et trop douce pour le riche. Elle le corrige en enfant gâté, comme cette nymphe qui donnait le fouet à l’Amour avec une rose. Si vous permettez au riche d’apporter dans sa prison sa cuisine, sa cave, sa bibliothèque, son salon, ce n’est plus un condamné qu’on punit, c’est un bourgeois qui change de logis. Vous êtes là devant un bon feu, enchâssé dans la ouate de votre robe de chambre ; vous digérez les pieds sur vos chenets, l’estomac tout parfumé de truffes et de champagne ; la neige voltige aux barreaux de votre fenêtre ; vous, cependant, vous jetez vers le plafond la fumée blanche de votre cigare. Vous rêvez, vous pensez, vous faites des châteaux en Espagne ou des vers. À côté de vous est votre gazette, cette amie qu’on quitte, qu’on rappelle et qu’on congédie définitivement quand elle devient trop ennuyeuse. Qu’y a-t-il donc, dites-le-moi, dans cette situation, qui ressemble à une peine ? N’avez-vous pas ainsi passé, sans sortir de chez vous, des heures, des jours, des semaines entières ? Que fait cependant le juge qui a eu la barbarie de vous condamner à ce supplice ? Il est à l’audience depuis onze heures du matin, grelottant dans sa robe noire, qui écoute les patenôtres d’un avocat qui rabâche. Pendant ce temps, le catarrhe aux griffes engourdies le saisit aux poumons, ou l’engelure de sa dent aiguë le mord aux orteils. Vous dites que vous n’êtes pas libre ! au contraire, vous êtes cent fois plus libre que dans votre maison ; toute votre journée vous appartient : vous vous levez, vous vous couchez quand il vous plaît, vous faites ce qui vous convient, et vous n’êtes plus obligé de vous faire la barbe.

» Voici Benjamin, par exemple, qui est prisonnier : croyez-vous que Bonteint lui ait joué un si mauvais tour en le faisant enfermer ici ? Il était obligé de se lever souvent avant que les réverbères fussent éteints. Il allait un bas à l’envers, de porte en porte, visiter