Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/30

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« Je me disais souvent : Pourquoi mon père ne m’a-t-il pas fait apprendre son état ? c’était tout ce qu’il fallait pour mes besoins : du pain et de la liberté, voilà tout ce que je demandais à Dieu, et je n’ai ici ni pain ni liberté ! Le bon homme a cru que je ferais mon chemin, comme tant d’autres, avec l’éducation qu’il me donnait ; mais, au lieu de pièces d’or, ce sont des jetons qu’il a mis dans ma bourse. Je suis trop bête, trop lourd, trop maladroit, pas assez intrigant, pour réussir dans l’Université. La fortune est comme les grands arbres : il n’y a que l’insecte qui rampe ou que l’oiseau qui vole qui puissent y établir leur nid.

« Toutefois, je n’étais encore qu’au pied de mon petit calvaire. Au bout de deux ou trois jours, mes administrés avaient perdu toute espèce de respect pour ma personne. Les deux nations, faisant trêve à leurs querelles journalières, s’étaient coalisées contre moi.

« Mon habit gris, un habit gris fait par le meilleur tailleur de mon pays, et avec lequel ma grand’mère me trouvait superbe, était devenu le but de tous leurs sarcasmes et quelques fois aussi de leurs projectiles. J’avais beau punir, petits et grands se moquaient de mes punitions ; ils aimaient autant la retenue que la récréation, car la retenue c’était moi qui la faisais.

« Je fus tenté vingt fois de tirer une vengeance immédiate et sommaire de cette insolente marmaille si cruelle par espièglerie. Mais si j’étais renvoyé, que faire ? De quel front me présenter à mes parents, qui me croyaient sur le chemin delà fortune ? et quand bien même je prendrais ce parti, comment payer ma place à la diligence ? « J’étais sans le sou, littéralement sans le sou. Ma famille nie faisait une subvention de cinq francs par mois, que je touchais par les mains «le ma grand’mère ; mais ces cinq francs,