Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/303

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arbre. J’ai connu, moi, plusieurs de ces gens-là qui n’avaient pas seulement la fermeté de se faire arracher une dent ; et dans le nombre, combien y en a-t-il qui oseraient obéir à leur conscience contrairement à la volonté de l’homme dont ils dépendent ? Que le cannibale des îles du nouveau monde égorge des hommes de sa couleur pour les faire rôtir et les manger quand ils seront cuits à point, je conçois cela ; mais toi, duelliste, cet homme que tu provoques, quand tu l’auras tué, à quelle sauce mangeras-tu son cadavre ? Tu es plus coupable que l’assassin que la justice condamne à mourir sur l’échafaud ; lui du moins c’est la misère qui le pousse au meurtre, c’est peut-être un sentiment louable dans sa cause, bien que déplorable dans ses conséquences. Toi, cependant, qu’est-ce donc qui t’a mis l’épée à la main ? Est-ce la vanité, est-ce l’appétit du sang, ou bien la curiosité de voir comment un homme se tord dans les convulsions de l’agonie ? Te représentes-tu une femme se jetant à moitié folle de douleur sur le corps de son époux, des enfants remplissant la maison veuve et tendue de noir de leurs lamentations, une mère qui demande à Dieu de la recevoir à la place de son fils dans son cercueil ? Et c’est toi qui, par un amour-propre de tigre, as fait toutes ces misères ? Tu veux nous égorger si nous ne te donnons pas le titre d’homme d’honneur ! mais tu n’es pas digne du nom d’homme ; tu n’es qu’une brute altérée de sang, qu’une vipère qui mord pour le plaisir de tuer sans profiter du mal qu’elle fait, et encore la vipère se respecte elle-même dans ses semblables. Quand ton adversaire est tombé, tu t’agenouilles dans la boue détrempée par son sang, tu cherches à étancher les blessures que tu as faites, tu le secours comme si tu étais son meilleur ami ; mais alors, pourquoi le tuerais-tu donc, misérable ? La société a bien à faire de tes remords ! Sont-ce tes larmes qui remplaceront le sang que tu as fait couler ? Toi, assassin à la mode, toi, meurtrier comme il faut, tu trouves des hommes qui te pressent la main, des mères de famille qui t’invitent à leurs fêtes ; ces femmes qui s’évanouissent à l’aspect du bourreau osent presser leurs lèvres sur les tiennes et te