Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/32

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moi, l’émotion fort niaise et le sentiment tout-à-fait dépourvu de présence d’esprit. Au lieu de remercier ce charmant enfant, je me mis à pleurer comme un grand imbécile. Lui, cependant, cherchait à glisser son paquet dans la poche de mon habit, et moi, les yeux troublés de larmes, suffoqué de sanglots, incapable de prononcer un seul mot, j’essayais, mais inutilement, d’arrêter ses mains. Aussitôt que le chocolat fut dans ma poche, le cher petit espiègle prit légèrement sa volée comme un oiseau qu’on force à changer de buisson. Il alla se placer à quelques pas de moi :

« — Monsieur, me dit-il, si vous voulez me promettre de garder le chocolat, je vais revenir ; j’ai quelque chose à vous communiquer.

« — Oh ! cher petit, je te le promets ; je le garderai toujours, en souvenir de notre amitié.

« Il revint, et me prit les deux mains.

« — Eh bien ! il faut que vous me promettiez de me faire savoir dans quelle institution vous serez entré. Je n’aime pas M™e R. parce qu’elle est Anglaise et M. R. parce qu’il est royaliste ; mais vous, je vous ai aimé tout de suite, je ne sais pourquoi ; et je prierai tant maman de me mettre auprès de vous, qu’il faudra bien qu’elle y consente.

« — Eh bien ! mon enfant, je te le promets encore ; et détachant mes mains des siennes, je m’enfuis vers la rue, car je sentis que j’allais pleurer encore.

« À quelque distance de là, j’aperçus mon jeune ami placé sur la terrasse. Il me suivait d’un œil qui, j’en suis sûr, était plein de larmes.

« Depuis, j’ai oublié cet enfant. J’ai mangé brutalement son chocolat, et je ne l’ai pas informé de la pension où je suis entré. Je l’ai oublié comme le voyageur oublie l’arbre sous lequel il s’est reposé un instant en traversant le désert ; je l’ai