mieux que vous m’eussiez tué que de m’avoir traité d’une manière aussi ignominieuse.
— Et vous, mon gentilhomme, dit Benjamin, se tournant vers l’autre mousquetaire, vous voyez que mon barbier n’est pas ici. Tenez-vous à ce que je mette à exécution la promesse que je vous ai faite ?
— En aucune façon, dit le mousquetaire ; à vous les honneurs de la journée ; il n’y a pas de lâcheté à se retirer devant vous, puisque vous ne portez point le fer sur le vaincu. Bien que vous ne soyez pas gentilhomme, je vous tiens pour le meilleur tireur et pour l’homme le plus honorable que je connaisse ; car votre adversaire voulait vous tuer, vous avez eu sa vie entre les mains et vous l’avez respectée. Si j’étais roi, vous seriez au moins duc et pair. Et maintenant, si vous attachez quelque prix à mon amitié, je vous l’offre de tout mon cœur et je vous demande la vôtre en échange.
Et il tendit la main à mon oncle, qui la serra cordialement dans la sienne. M. de Pont-Cassé se tenait devant le foyer, morne et farouche, l’œil plein de sombres éclairs et le front chargé d’une nuée d’orage. Il prit le bras de son ami, fit un salut de glace à mon oncle et s’éloigna.
Mon oncle avait hâte de retourner chez sa sœur ; mais le bruit de sa victoire s’était rapidement répandu dans le faubourg ; à chaque instant, il était intercepté par un soi-disant ami qui venait le féliciter de son beau fait d’armes et lui secouer le bras jusqu’à l’épaule, sous prétexte de lui donner une poignée de main. Les gamins, cette poussière de la population que soulève tout événement éclos dans la rue, venaient tourbillonner autour de lui et l’assourdir de leurs hourras. En quelques instants, il devint le point central d’une foule horriblement tumultueuse qui lui marchait sur ses talons, éclaboussait ses bas de soie et faisait tomber son tricorne