Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui va entre deux haies fleuries, sa pioche sur l’épaule, vers sa chaumière qui fume, et où l’attendent ses enfants ; mais, pour le père qui porte le deuil de sa fille, il n’y a plus de belles soirées.

— Et à quel foyer, dit mon oncle, n’y a-t-il pas une place vide ? Qui n’a pas au champ de repos un tertre de gazon où, tous les ans, à la Toussaint, il vient verser de pieuses larmes ? Et dans les rues de la cité, quelle foule, si rose et si dorée qu’elle soit, n’est tachée de noir ? Quand les fils vieillissent, ils sont condamnés à mettre leurs vieux parents dans la tombe ; quand ils meurent au milieu de leur âge, ils laissent une mère désolée, à genoux auprès de leur cercueil. Croyez-moi, les yeux de l’homme ont été faits bien moins pour voir que pour pleurer, et toute âme a sa plaie, comme toute fleur a son insecte qui la ronge. Mais aussi, dans le chemin de la vie, Dieu a mis l’oubli qui suit à pas lents la mort, qui efface les épitaphes qu’elle a tracées et répare les ruines qu’elle a faites. Voulez-vous, mon cher monsieur Minxit, suivre un bon conseil ; croyez-moi, allez manger des carpes sur les bords du lac de Genève, du macaroni à Naples, boire du vin de Xérès à Cadix, et savourer des glaces à Constantinople ; dans un an vous reviendrez aussi rond et aussi joufflu que vous l’étiez avant.

M. Minxit laissa pérorer mon oncle tant qu’il voulut, et quand il eut fini :

— Combien ai-je encore de jours à vivre, Benjamin ? lui dit-il.

— Mais, fit mon oncle, abasourdi de la question, et croyant avoir mal entendu, que dites-vous, monsieur Minxit ?

— Je te demande, répéta M. Minxit, combien de jours il me reste encore à vivre ?

— Diable, dit mon oncle, voici une question qui m’embarrasse fort ; d’un côté, je ne voudrais pas vous désobliger ; de l’autre, je