Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/40

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desséchés, l’avez-vous vue s’éteindre lentement de faim, de froid et de misère, et n’avez-vous pas eu quelques gouttes de bouillon à verser sur ses lèvres ?

« Avez-vous imploré du curé de la paroisse un pan d’étoffe noire pour habiller son cercueil, et vous l’a-t-il refusé, parce que vous n’aviez pas dix francs à lui compter ?

« Voilà la vie de ces hommes de sueur et de larmes dont la majorité de la nation se compose ! et c’est en présence de cette misère que vous osez vous dire pauvres, c’est à ces gens que vous voulez faire demander l’aumône par vos gendarmes ! Mais faites donc comparaison de leur situation avec la vôtre ! eux, ils n’ont point de souliers, et vous, vous avez vingt carrosses et cent chevaux pour vous emporter par les rues ; eux, ils ont à peine le morceau de pain qui empêche de mourir, vous, vous donnez à dîner tous les jours ; eux, ils logent dans des caves pourries et enfumées, dans des galetas délabrés, vous, vous avez entre dix châteaux un château à choisir pour vous loger. Vous, pour abriter les rats de vos greniers, vous avez plus de meubles qu’il n’en faudrait pour meubler cent familles ; mais demain, si vous passez sur la place publique, vous pourrez voir les meubles d’une dizaine d’entre eux criés et vendus par les huissiers.

« Et, depuis le temps qu’on prend dans leurs chaumières, qu’y a-t-il donc encore à y prendre ? Est-ce le berceau de leur enfant, le grabat de leur vieux père, la bague de noces de leur femme, l’escabeau sur lequel ils se reposent quand ils sont revenus du travail. Mais à quoi tout cela est-il bon pour rehausser un prince ? Est-ce que l’aigle, pour monter plus haut vers le soleil, arrache les plumes des petits oiseaux et les attache à ses ailes. Toutefois, si vous trouvez appendue à quelque vieille muraille une croix d’honneur noircie de poudre, au milieu de