Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/98

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du tribunal, qui s’était habitué à écrire en dormant ; le procureur Rapin, qui ayant reçu en présent d’un plaideur une feuillette de vin piqué, le fit assigner pour qu’il eût à lui en faire tenir une meilleure ; le notaire Arthus, qui avait mangé un saumon à son dessert ; Millot-Rataut, poète et tailleur, auteur du Grand-Noël ; un vieil architecte qui depuis vingt ans ne s’était pas dégrisé ; M. Minxit, médecin des environs, qui consultait les urines ; deux ou trois commerçants notables… par leur gaîté et leur appétit, et quelques chasseurs qui avaient abondamment pourvu la table de gibier.

À la vue de Benjamin, tous les convives poussèrent une acclamation et déclarèrent qu’il fallait se mettre à table.

Pendant les deux premiers services, tout alla bien. Mon oncle était charmant d’esprit et de saillies ; mais, au dessert, les têtes s’exaltèrent : tous se mirent à crier à la fois. Bientôt la conversation ne fut plus qu’un cliquetis d’épigrammes, de gros mots, de saillies éclatant ensemble et cherchant à s’étouffer l’une l’autre ; tout cela faisant un bruit semblable à celui d’une douzaine de verres qui s’entrechoquent à la fois.

— Messieurs, s’écria l’avocat Page, il faut que je vous régale de mon dernier plaidoyer. Voici l’affaire :

« Deux ânes s’étaient pris de querelle dans un pré. Le maître de l’un, mauvais garnement s’il en est, accourt et bâtonne l’autre âne. Mais ce quadrupède n’était pas endurant ; il mord notre homme au petit doigt. Le propriétaire de l’âne qui a mordu est cité par-devant M. le bailli comme responsable des faits et gestes de sa bête.

« J’étais l’avocat du défendeur. Avant d’arriver à la question de fait, dis-je au bailli, je dois vous éclairer sur la moralité de l’âne que je défends et sur celle du plaignant. Notre âne est un quadrupède tout-à-fait inoffensif ; il jouit de l’estime de tous ceux qui le