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Page:Œuvres de Chateaubriand (éd. Dufour), tome 14, Politique, Opinions et Discours - Polémique, 1854.djvu/291

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celui des Invalides. Une maison d’éducation pour les orphelines des officiers de la Légion d’honneur s’éleva sur les ruines de l’ermitage : l’ancien asile de la paix devait servir de retraite aux victimes de la guerre. Au moins dans ce projet les grossiers plaisirs révolutionnaires ne succédaient pas aux nobles pénitences de la foi. Il y a une alliance secrète entre la religion et les armes, dans tous les pays, et surtout en France, berceau de la chevalerie ; les militaires sont naturellement religieux : ce ne sont pas les baïonnettes de nos soldats, ce sont les plumes de nos révolutionnaires qui ont égorgé les prêtres.

Au moment de la Restauration, tout était abandonné sur le Calvaire : l’abbé de Janson qui venait, de concert avec M. l’abbé de Rauzan, de former l’établissement des Missions de France, détermina le gouvernement à prendre des arrangements avec l’abbé de la Trappe. Ensuite il sollicita et obtint la jouissance des emplacements du mont Valérien, et il y rétablit le culte de la croix.

Les stations qui viennent de s’ouvrir cette année sont d’autant plus intéressantes que M. l’abbé de Janson arrive de Jérusalem, et qu’il a pu montrer au pied du Calvaire du mont Valérien de pieux objets rapportés du véritable Calvaire. La solennité d’hier était admirable : les missionnaires signalant la vanité du monde devant un monument élevé par l’homme de gloire sur les débris de l’asile d’un obscur ermite ; ce monument non achevé, et n’étant lui-même qu’une ruine ; le conquérant qui l’entreprit exilé sur un rocher au milieu des mers ; le prêtre jadis exilé revenu dans sa patrie et annonçant la perpétuité de la religion sur un monceau d’anciennes et de nouvelles ruines, quel sujet de sentiments et de réflexions ! Qu’on y joigne la grandeur et la beauté du site, l’éclat du soleil, la verdure du printemps ; qu’on se représente la pompe religieuse ; cette tente formant l’église de la Mission, comme aux premiers jours du christianisme ; ces trois croix élevées dans les airs ; ce mélange de prédications et de chants ; cette foule couvrant les flancs de la colline, tantôt marchant en procession avec les prêtres, tantôt s’arrêtant aux stations, tombant à genoux, se relevant, recommençant sa marche en chantant des cantiques nouveaux ou les vieilles hymnes de l’Église, et l’on concevra comment il était impossible d’échapper à l’impression de cette scène. On a surtout remarqué le moment où, parvenus à la dernière station, les archevêques et les évêques présents à la cérémonie se sont réunis sur le rocher au pied de la croix. Le groupe religieux se dessinait seul sur le ciel avec la croix et la crosse d’or, tandis que les fidèles étaient prosternés. Ces vénérables pasteurs, vieux témoins de la foi décimés par la révolution, semblaient tenir une espèce de concile en plein air ; et, confessant la religion pour laquelle ils avaient souffert, ils rappelaient ces anciens Pères de l’Église composant, après la persécution de Dioclétien, le symbole de Nicée.

Le succès des missionnaires étonne les hommes de parti. Il est dur, en effet, d’avoir pendant trente ans bouleversé la France pour déraciner la religion, et d’avoir perdu son temps ; il est dur pour ceux qui nous ont régénérés de n’avoir pu établir ni un gouvernement, ni une institution, ni une doctrine, durables, et de voir d’ignorants missionnaires échappés au martyre, pauvres, nus, insultés, calomniés, charmer le peuple avec un crucifix et une parole de l’Évangile. Ce démenti donné à la sagesse du siècle n’est-il pas intolérable ? Comment souffrir des apôtres qui rétablissent les droits de la conscience, et qui prêchent la soumission à l’autorité légitime ? On fait des chansons abominables, on étale des caricatures où les missionnaires prennent pour autel un bûcher : reste à savoir si ces chants ne sont pas semblables à ceux que l’on faisait entendre autour de la guillotine ; si ces bûchers ne sont pas ceux que l’on alluma pour y jeter les ecclésiastiques. Non, il faut être juste : on n’a pas brûlé le clergé ; on