Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/100

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soit capable de l’approuver. Mais son parti étoit pris. Il nous rend compte lui-même des motifs qui l’engagèrent à quitter la France. Le premier fut la raison du climat. Il craignoit que la chaleur, en exaltant un peu trop son imagination, ne lui ôtât une partie du sang-froid et du calme nécessaires pour les découvertes philosophiques ; le climat de la Hollande lui parut plus favorable à ses desseins. Mais son principal motif fut la passion qu’il avoit pour la retraite, et le désir de vivre dans une solitude profonde. En France, il eût été sans cesse détourné de l’étude par ses parents ou ses amis… au lieu qu’en Hollande il étoit sûr qu’on n’exigeroit rien de lui. Il espéroit vivre parfaitement inconnu, solitaire au milieu d’un peuple actif qui s’occuperoit de son commerce, tandis que lui s’occuperoit à penser. Comme son grand but étoit la retraite, il prit toutes sortes de moyens pour n’être pas découvert. Il ne confia sa demeure qu’à un seul ami chargé de sa correspondance. Jamais il ne datoit ses lettres du lieu où il demeuroit, mais de quelque grande ville où il étoit sûr qu’on ne le trouveroit pas. Pendant plus de vingt ans qu’il demeura en Hollande, il changea très souvent de séjour, fuyant sa réputation partout où elle le poursuivoit, et se dérobant aux importuns qui vouloient seulement l’avoir vu. Il habitoit quelquefois dans les grandes villes ; mais il préféroit ordinairement les villages ou les bourgs, et le plus souvent les maisons solitaires tout-à-fait isolées dans la campagne. Quelquefois il alloit s’établir dans une petite maison aux bords de la mer : on montre encore en plusieurs endroits les maisons qu’il a habitées… Le goût que Descartes avoit pour la Hollande étoit si vif, qu’il cherchoit à y attirer ceux de ses amis qui vouloient se retirer du monde. Je vais traduire une lettre qu’il écrivoit à Balzac sur ce sujet ; on la verra peut-être avec plaisir. « Je ne suis point étonné, lui dit-il, qu’une âme grande et forte, telle que la vôtre, ne puisse se plier aux usages serviles de la cour. J’ose donc vous conseiller de venir à Amsterdam, et de vous y retirer, plutôt que dans des chartreuses, ou même dans les lieux les