Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/261

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me semble que je vois de la lumière, que j’entends du bruit, et que je sens de la chaleur ; cela ne peut être faux ; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir ; et cela précisément n’est rien autre chose que penser. D’où je commence à connoître quel je suis, avec un peu plus de clarté et de distinction que ci-devant.

Mais néanmoins il me semble encore et je ne puis m’empêcher de croire que les choses corporelles, dont les images se forment par la pensée, qui tombent sous les sens, et que les sens mêmes examinent, ne soient beaucoup plus distinctement connues que cette je ne sais quelle partie de moi-même qui ne tombe point sous l’imagination : quoiqu’en effet cela soit bien étrange de dire que je connoisse et comprenne plus distinctement des choses dont l’existence me paroît douteuse, qui me sont inconnues et qui ne m’appartiennent point, que celles de la vérité desquelles je suis persuadé, qui me sont connues, et qui appartiennent à ma propre nature, en un mot que moi-même. Mais je vois bien ce que c’est ; mon esprit est un vagabond qui se plaît à m’égarer, et qui ne sauroit encore souffrir qu’on le retienne dans les justes bornes de la vérité. Lâchons-lui donc encore une fois la bride, et, lui donnant toute sorte de liberté, permettons-lui de considérer les objets qui lui paroissent au dehors, afin que, venant ci-après à la retirer dou-