Page:Œuvres de François Villon Thuasne 1923 t2.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

178 FRANÇOIS VILLON

Strophe suivante où entre en scène la belle Heaulmière : Jehanneton la Chapperonnière... » (Ilnd., p. 504). Mais cette strophe, ou plutôt cette ballade, concerne des filles de joie encore jeunes, des « escolieres », « travaillant » pour leur compte, et nullement des vieilles chevronnées de la débauche et louant leurs services à autrui : aussi bien semble-t-il qu'on doive s'en tenir à l'interprétation traditionnelle, outre qu'il est fort douteux qu'on ait jamais dit « emprunter quelqu'un » pour « emprunter les services de quelqu'un ». D'ailleurs, dans ce huitain XLVi, il n'est pas question d'entremetteuses dans la pensée de Villon (encore bien qu'elles aient pu eu faire le métier), mais simplement de pauvres vieilles femmes flétries par l'âge et la misère, et qui autrefois furent belles et adulées. Elles regrettent aujourd'hui le temps passé et leur jeunesse envolée comme La belle qui fut h'caidmiere. Éclairée par l'expérience, mais trop tard, celle-ci ne veut pas que ses jeunes éco- lières tombent dans la même faute qu'elle a commise ; aussi les engage- t-elle cyniquement à profiter pleinement de leur jeunesse, à exploiter sans pitié la bêtise des hommes {folles amours font les gens bestes, Test. 629), à faire des économies pour plus tard (Car vielles n'ont ne cours ne estre. Test. 539). Aussi ne s'agit-il pas ici de femmes qui se donnent, mais seulement qui « se prêtent » ; la durée du prêt étant limitée, autre- ment ce serait un don . « Emprunter elles » serait alors pris par anti- phrase et signifierait « se prêter ».

— En requoy, peut se prendre dans son sens propre « en cachette ». Le vers signifierait alors « se livrer à la prostitution clandestine», sui- vant la formule administrative moderne ; ou bien en requoy peut s'en- tendre aussi par antiphrase et veut dire « publiquement, au vu et au su de tous ». Enfin Villon, qui aime à équivoquer sur le sens des mots, a pu employer le verbe emprunter avec le sens qu'a souvent en latin mutuai'i = emprunter ce qu'on doit rendre en nature (Quicherat, Freuud, etc.). Le passage signifierait en ce cas : « Quand ces vieilles voient ces gamines (pucelette, diminutif de pticelk, jeune fille) rembourser en nature, c'est-à-dire de leurs corps (en se prostituant) l'argent qu'elles touchent, elles demandent, « ces povres fameletes » ...» Dans son Miroir du Mariage, Deschamps parle des galants qui assaillent la femme mariée, lorsqu'elle est belle, qui lui font des déclarations brûlantes, des cadeaux, etc. ; et il emploie le verbe emprunter, avec le sens de « prendre à titre de prêt » :

��Et quant femme oit sa beauté dire, Lors rogist, lors taint, lors fremie.

�� �