Quelle rime, béant, flaires-tu donc dans l’air ?
Dans mon obscur Éden pourtant j’avais une Ève
Que je m’étais créée et que j’aimais en rêve.
Pour essuyer des pleurs, le succube chéri
Inclinait sur mes yeux ses yeux bleus de péri,
Ses baisers enivraient mes lèvres altérées,
Mes doigts vierges palpaient ses formes éthérées ;
Je m’élançais la nuit, emporté dans ses bras,
Vers un monde idéal parsemé d’Alhambras,
Et lorsque, fatigués de leurs métamorphoses,
Les Sylphes vont dormir dans le hamac des roses :
À ce soir, disait-il en fuyant ; et le soir,
Sur mes genoux encore il revenait s’asseoir.
De ma blanche statue, ici-bas sans modèle,
Je fus longtemps l’époux et le prêtre fidèle ;
Mais je t’ai vue, ô toi dont j’ignore le nom.
Je t’ai vue, et, soudain, honteux Pygmalion,
T’inaugurant déesse en mon âme exaltée,
J’ai sur son piédestal brisé ma Galatée ;
Contre un doux souvenir j’ai lutté, mais en vain :
L’ange a ployé Jacob sous son genou divin.
Patriotes martyrs, pardonnez… Mais, que dis-je ?…
Quelle tête brûlante est pure de vertige ?
Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/101
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