Et l’on dut pardonner au troubadour forain
D’avoir, humble vassal, les goûts d’un suzerain.
De Masaniello le poétique élève
Contre la tyrannie avait brisé son glaive,
Et pour sauver ses jours, le proscrit montagnard
Des morceaux qui restaient dut se faire un poignard.
Mais tuer sans combat, égorger qui sommeille,
Rammasser un écu dans le sang d’une vieille,
Et pouvoir dire après : Je suis poëte ! … Non !
Car il ne suffit pas, pour mériter ce nom,
D’emprunter au public de banales pensées
Qu’on rejette au public en phrases cadencées :
Le poëte, amoureux du bien comme du beau,
Attend deux avenirs par delà le tombeau,
Et riche, en vieillissant, de candeur enfantine,
N’a rien à démêler avec la guillotine.
Le poëte ne voit qu’un seul bourreau de près :
Le Malheur ! ou, frappé par d’iniques arrêts,
S’il meurt, c’est en martyr, et le ciel est en fête,
Et personne ici-bas ne dit : Justice est faite !
Interrogez Samson : depuis qu’André Chénier
D’un sang si précieux parfuma son panier,
Jamais son doigt savant (Thémis en soit bénie !)
Sur un front condamné ne palpa le génie.
C’est un roi qu’un poëte, et la hache des lois
Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/204
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