Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/311

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Elle trahit par un geste son désappointement. « Non, je ne suis pas un poète et je vous ai trompée, poursuivis-je, en prévenant ses questions. Je suis tout simplement, belle muse, Pierre-Jacques, votre cousin, ouvrier imprimeur… pour vous servir ! »

Et en effet c’était bien Thérèse, Thérèse, la mieux aimée de mes compagnes d’enfance, et dont, sous un masque récent de pâleur, la figure autrefois si rose n’avait d’abord éveillé chez moi qu’un vague souvenir. A dix-sept ans, elle était devenue ma cousine (rien que ma cousine, hélas !) en épousant un gros, gras et riche fermier, mon parent, qui ne tarda pas à la laisser veuve, en tombant un soir, après de ferventes libations au saint du village, dans un piège à loup, d’où on le retira mort le lendemain.

Élevée par les dames du château, et leur demoiselle de compagnie avant ce mariage, la jeune veuve se laissa bientôt aller à la vie élégante qu’elle avait essayée autrefois, et à la poésie, ses premières amours. Inondé de pluie, de grêle et de procès, son petit domaine s’en alla sous ses pieds comme un sable mouvant, tandis qu’elle regardait le ciel. A son arrivée à Paris, elle était riche encore d’une vigne et d’un pré ; mais il fallait payer les frais d’impression de ses poésies, mais il fallait jeter un peu de poudre d’or sur les feuilletons ; si bien que la jeune fermière ne possédait plus rien au soleil que sa jeunesse et sa beauté ; et Thérèse n’entendait rien, Dieu merci ! à l’exploitation d’un pareil fonds.

Après un moment de silence : « Je n’essaierais pas, lui dis-je, de vous détourner d’une carrière à laquelle vous seriez fatalement prédestinée ; mais êtes-vous bien sû