Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/108

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I D O M É N É E.

Inexorables dieux, par combien de détours
Avez-vous de mes ſoins ſu traverſer le cours !
Que de votre courroux la fatale puiſſance
A bien ſu ſe jouer de ma vaine prudence !
Barbares ! Quand je meurs qu’exigez-vous de moi ?
N’était-ce pas aſſez pour victime qu’un roi ?
Par un ſang que verſait un repentir ſincère
Je courais aux autels prêt à vous ſatisfaire :
Hélas ! Quand j’ai cru voir la fin de mes malheurs,
Vous avez craint de voir la fin de vos fureurs ;
Il eût fallu vous rendre au ſang de la victime.
Gardez donc vos fureurs, & je reprends mon crime :
Je déſavoue enfin d’inutiles remords.

I D A M A N T E.

Déſavouez plutôt ces horribles tranſports ;
Voyez-en juſqu’ici l’audace infructueuſe,
Et revenez aux ſoins d’une âme vertueuſe.
De ces dieux, dont en vain vous bravez le courroux,
Examinez, ſeigneur, ſur qui tombent les coups.
Faut-il, pour attendrir votre âme impitoyable,
Ramener ſous vos yeux ce ſpectacle effroyable ?
Tout périt ; ce n’eſt plus qu’aux ſeuls gémiſſements
Qu’on peut ici des morts diſtinguer les vivants.
Dans la nuit du tombeau vos ſujets vont deſcendre :
Un ſeul ſoupir encor ſemble les en défendre,
Seigneur ; & ces ſujets, prêts à s’immoler tous,
Offrent aux Dieux vengeurs ce ſeul ſoupir pour vous !
D’un peuple pour ſon roi ſi tendre, ſi fidèle,
Du ſang de votre fils récompenſez le zèle.
Ces peuples, que le ciel ſoumit à votre loi,
Ne ſont-ils pas, ſeigneur, vos enfants avant moi ?
Terminez par ma mort l’excès de leur miſère :
Dans ces triſtes moments ſoyez plus roi que père :
Songez que le devoir de votre auguſte rang
Ne permet pas toujours les tendreſſes du ſang :
Verſez enfin le mien, puiſqu’il faut le répandre :
Par d’éternels forfaits voulez-vous le défendre ?