Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/33

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Et, l’effroi ſuccédant à mes premiers tranſports,
Je me ſentis glacer en revoyant ces bords.
Je les trouvai déſerts, tout avait fui l’orage :
Un ſeul homme alarmé parcourait le rivage ;
Il ſemblait de ſes pleurs mouiller quelques débris :
J’en approche en tremblant… hélas ! C’était mon fils.
À ce récit fatal tu devines le reſte.
Je demeurai ſans force à cet objet funeſte ;
Et mon malheureux fils eut le temps de voler
Dans les bras du cruel qui devait l’immoler.

S O P H R O N Y M E.

Ai-je bien entendu ? Quelle horrible promeſſe !
Ah père infortuné !

I D O M É N É E.

Ah père infortuné ! Rebelle à ma tendreſſe,
Je fus près d’obéir : mais Idamante enfin
Mit mon âme au deſſus des dieux & du deſtin ;
Je n’enviſageai plus le vœu ni la tempête ;
Je baignai de mes pleurs une ſi chère tête.
Le ciel voulut en vain me rendre furieux ;
La nature à ſon tour fit taire tous les dieux.
Sophronyme, qui veut peut braver leur puiſſance ;
Mais ne peut pas qui veut éviter leur vengeance.
À peine de la Crète eus-je touché les bords,
Que je la vis remplir de mourants & de morts.