Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/53

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À compter un amour dont il ſe fait la proie ?
Qu’eſt devenu ce roi plus grand que ſes aïeux,
Que ſes vertus ſemblaient élever juſqu’aux dieux,
Et qui, ſeul la terreur d’une orgueilleuſe ville,
Cent fois aux grecs tremblants fit oublier Achille ?
L’amour, aviliſſant l’honneur de ſes travaux,
Sous la honte des fers m’a caché le héros.
Peu digne du haut rang où le ciel l’a fait naître,
Un roi n’eſt qu’un eſclave où l’amour eſt le maître.
N’allez point établir ſur ſon faible pouvoir
L’oubli de vos vertus ni de votre devoir.
Que l’amour ſoit en nous ou penchant ou vengeance,
La faibleſſe des cœurs fait toute ſa puiſſance.
Mais, ſeigneur, s’il eſt vrai que, maîtres de nos cœurs,
De nos divers penchants les dieux ſoient les auteurs,
Quand même vous croiriez que ces êtres ſuprêmes
Pourraient déterminer nos cœurs malgré nous-mêmes,
Eſſayez ſur le vôtre un effort glorieux,
C’eſt là qu’il eſt permis de combattre les dieux.
Ce n’eſt point en fauſſant une auguſte promeſſe
Qu’il faut contre le ciel vous exercer ſans ceſſe.
Se peut-il que l’amour vous impoſe des lois ?
Et le titre d’amant eſt-il fait pour les rois ?
Au milieu des vertus où ſa grande âme eſt née,
Doit-on de ſes devoirs inſtruire Idoménée ?