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C a t i l i n a.

Et Tullie à tes yeux fût-elle encor plus chère,
Rien ne garantiroit la tête de ſon père.
Mais de quoi te plains-tu ? quel eſt mon attentat ?
Eſt-ce moi qui prétends t’accuſer au Sénat ?
De l’eſpoir d’être à toi ma tendreſſe enivrée,
A tes lâches complots ne m’a que trop livrée.
Songes que tu me dois, & Céſar, & Craſſus,
Les enfans de Sylla, Cépion, Lentulus.
Cruel ! J’aurois voulu que tout ce qui reſpire,
Eût été, comme moi, ſoûmis à ton empire :
Mais tandis que pour toi je ſéduiſois les cœurs,
Tu préparois au mien le comble des horreurs ;
Et le tien, trop épris des charmes de Tullie,
A bien-tôt oublié ce qu’il doit à Fulvie.
Cependant, qui de nous s’arme ici contre toi ?
C’eſt elle qui te perd, ingrat, ce n’eſt pas moi.
Il eſt vrai qu’en ſon cœur j’ai voulu te détruire ;
Mais c’eſt-là ſeulement qu’attachée à te nuire,
Contente de pouvoir vous déſunir tous deux,
Je n’ai rien oublié pour te rendre odieux.
Eh pouvois-je prévoir que l’honneur chimérique
De ſauver les débris d’un nom de république,
Porteroit une amante à perdre ſon amant ?
Mais, pour t’en garantir, je ne veux qu’un moment.
Abandonne à mon cœur le ſoin de ta défenſe :
Je ne ſais s’il te doit, ou tendreſſe, ou vengeance ;