Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/129

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Je réclamois en vain la faveur de Neptune
Et des astres jumeaux, sourds à tous mes propos,
Car les vents depitez, combatans sans repos,
Avoient juré ma mort sans esperance aucune.

Mon desir trop ardant, que jeunesse abusoit,
Sans voile et sans timon la barque conduisoit,
Qui vaguoit incertaine au vouloir de l’orage.

Mais durant ce danger un écueil je trouvay,
Qui brisa ma nacelle, et moy je me sauvay,
A force de nager évitant le naufrage.


LIX


Puis que je ne fay rien en vous obeïssant,
Qui vous donne plaisir et vous soit agreable ;
Puis que vous estimez que mon cœur soit muable,
Bien qu’aux flots des malheurs il s’aille endurcissant ;

Puis que vostre rigueur, d’heure en heure accroissant,
Se plaist à me gesner et me voir miserable ;
Puis que ma passion ne vous sert que de fable,
Et que mieux je vous sers, plus je suis languissant ;

Puis que, comme ma foy, vostre orgueil continüe,
Puis que le chemin croist et le jour diminüe,
Et que je ne voy rien qui me promette mieux,

Adieu, madame, adieu ; aussi bien je confesse
Qu’il faudroit, pour servir une telle deesse,
Non un homme mortel, mais le plus grand des Dieux.


LX


Je suis repris, helas ! je suis repris ;
Plus que jamais une ardeur me consume ;
Je suis tout cuit du venin que je hume,
Qui boit mon sang et trouble mes espris.

Aussi, mes yeux, c’estoit trop entrepris.
Comment ! desja vous en faisiez coustume
De vous mirer au feu qui vous allume.
Hé ! pensez-vous n’en estre point surpris ?

Puis que par vous j’ay reçeu ce dommage,
Je ne me plains que soyez en servage :
Servage ? non, ains douce liberté.

Mais mon esprit, qui n’a point fait d’offence,
Méritoit-il d’estre ainsi tourmenté,
Et que mon cœur par l’œil fit penitence ?