Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/14

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Mais cette dure épreuve une fois terminée, la bonne chance, qui le seconda pendant toute sa vie, reparut plus brillante que jamais, comme le soleil après la tempête. Le secrétaire intime reprit ses fonctions auprès du ministre, fonctions qui lui assuraient une grande influence. Peut-être même refusa-t-il dès lors la place de l’Aubespine, refus constaté par son épitaphe. Sa vie ne nous offrira plus qu’un enchaînement de prospérités.

 Ceux qui ont parlé de lui s’accordent à dire qu’il n’usa de sa faveur que pour rendre service. C’était un homme affable, doux, patient, généreux. L’accueil franc et ouvert, qu’il unissait à beaucoup de finesse, charmait tout le monde. Une fois devenu son ami, on pouvait compter sur son attachement[1]. La naturelui avait d’ailleurs donné une abondance de parole, une facilité de discours très-utile dans la société. Il y avait joint des connaissances étendues, qui achevaient de le faire écouter avec plaisir et avec déférence : il savait non-seulement le latin et le grec, mais l’hébreu ; il avait étudié la philosophie et même la théologie. Quoiqu’il ait obtenu fort jeune des présents considérables, des fonctions lucratives, il ne paraît avoir été ni ambitieux ni cupide. Jacques de Montereul et son propre frère lui rendent à cet égard le témoignage le plus flatteur[2]. Une chance heureuse le seconda toute sa vie : quelque part qu’il dirigeât sa proue, le vent soufflait aussitôt dans sa voile.

Disons d’ailleurs qu’il ne contrariait pas la fortune, qu’il se prêtait avec adresse aux bonnes intentions du destin. Esprit souple, rapide, observateur, calme et judicieux, il ne heurtait personne, il plaisait universellement. Sa haute prospérité, nous disent les biographes, n’excita jamais l’envie[3]. Reconnaissons, au surplus, que cette prospérité même devait entretenir sa bonne humeur, stimuler son obligeance : elle lui avait coûté si peu d’efforts, qu’elle appelait naturellement le sourire sur ses lèvres. Son existence était comme un paysage éclairé par le soleil ; d’où lui seraient venues les idées mornes, les dispositions farouches ? Quel vent du ciel lui eût apporté le froid, les nuages, les tristes murmures de l’hiver ?

Enfin une tendance peu héroïque l’aidait à faire son chemin, à glisser entre les écueils. Il n’avait pas, il faut le reconnaître, ce sentiment du bien, cet amour de la justice, cette exaltation

  1. « Qui semel admissos non fallere novit amicos, » dit Jean Daurat. Voyez aussi le distique de Pasquier, à la fin du volume.
  2. Voyez le Tombeau de Desportes, par Jacques de Montereul, et son épitaphe, par son frère.
  3. Dom Liron, Bibliothèque chartraine.