Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/159

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Plus libre, à l’avenir, je vivray pour moy-mesme,
Je n’auray l’œil piteux ny le visage blesme,
Semant tout mon service et mes soupirs au vent.

La volonté d’autruy ne regira ma vie,
Je ne transiray plus d’une jalouse envie
Et ne changerai plus de pensers si souvent.


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LIVRE SECOND


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I


Amour, trie et choisis les plus beaux de ces vers
Et raye à ton plaisir ceux de moindre merite :
Qu’à ce fascheux labeur ta louange t’excite,
C’est dessous ton beau nom qu’ils vont par l’univers.

Ils sont nez de ta flame et des tourmens divers
Dont tu me fis present, quand je vins à ta suite :
Ma prise et ta victoire au vray s’y voit décrite ;
C’est le papier journal des maux que j’ay souffers.

Ceux qui ne t’ont connu, sinon par ouy-dire,
Ne doivent curieux s’arrester à les lire :
Aux seuls vrais amoureux ce livre est reservé.

Les autres ne croiroient tant d’estranges alarmes ;
Las ! si n’ay-je rien dit que je n’aye esprouvé,
Et chacun de ces vers me couste mille larmes.


II


DIALOGUE


Arreste un peu, mon cœur, où vas-tu si courant ?
— Je vay trouver les yeux qui sain me peuvent rendre.
— Je te prie, atten-moi. — Je ne te puis attendre,
Je suis pressé du feu qui me va dévorant.

— Il faut bien, ô mon cœur ! que tu sois ignorant,
De ne pouvoir encor ta misere comprendre :
Ces yeux d’un seul regard te réduiront en cendre :
Ce sont tes ennemis, t’iront-ils secourant ?

— Envers ses ennemis, si doucement on n’use