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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.

Je vivois trop heureux : las ! maintenant je n’ose
Alleger ma douleur d’un soupir seulement.

C’est me poursuivre, Amour, trop rigoureusement :
J’aime, et je suis contraint de feindre une autre chose ;
Au fort de mes travaux, je dy que je repose,
Et monstre en mes ennuis un vray contentement.

Ô supplice muet, que ta force est terrible !
Mais je me plains à tort de ma gesne invisible,
Veu qu’un si beau desir fait naistre mes douleurs.

Puis j’ay ce reconfort en mon cruel martire,
Que j’escry toute nuict ce que je n’ose dire,
Et, quand l’encre me faut, je me sers de mes pleurs[1].


III


Venus cherche son fils, Venus, tout en colere,
Cherche l’aveugle Amour par le monde egaré :
Mais ta recherche est vaine, ô dolente Cythere !
Il s’est couvertement dans mon cœur retiré.

Que sera-ce de moy ? que me faudra-t-il faire ?
Je me voy d’un des deux le courroux preparé ;
Egalle obeïssance à tous deux j’ay juré :
Le fils est dangereux, dangereuse est la mere.

Si je recele Amour, son feu brûle mon cœur ;
Si je decele Amour, il est plein de rigueur
Et trouvera pour moi quelque peine nouvelle.

Amour, demeure donc en mon cœur seurement,
Mais fay que ton ardeur ne soit pas si cruelle,
Et je te cacheray beaucoup plus aisément[2].


IV


Quand je suis tout le jour de douleur agité,
Que j’eusse au moins la nuict quelque douce allegence !
Certes, la passion a trop de violence
Qui tousjours continuë en son extremité.

Pensers, désirs, soucis pleins d’importunité,

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par ces mots :

    Fu tempo ch’ io hebbi ardir con lingua sciolta
    Dolermi e palesar l’interna pena,
    Quando Amor pria mi tenne in sua catena,
    Che il fallo è da scusar per una volta.

  2. Imité d’un morceau latin de Sannazar, qui débute ainsi :

    Quæritat huc illuc raptum sibi Cypria natum....