Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/25

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sa mère, le duc d’Anjou était revenu à Paris vers la fin du mois de juin 1573 ; il y resta trois mois au milieu des fêtes. Dans une de ces réjouissances fut déclamée l’Antigone de Sophocle, traduite par Antoine de Baïf. Desportes y glissa une allocution en l’honneur du prince, qui dénote sa complaisance sans limites et son extrême finesse. Dans la corruption profonde du roi de Pologne, il avait entrevu, comme dans un abîme, un nouveau genre de dépravation, qui, luttant d’abord contre son goût pour les femmes, devait finir par le dominer. Il affectait déjà de porter les ornements destinés à l’autre sexe, ignoble caprice qu’il porta aux derniers excès quand il fut roi de France. « Le roy, dit l’Estoile, faisoit force mascarades où il se trouvoit ordinairement habillé en femme, ouvroit son pourpoint et découvroit sa gorge, y portant un collier de perles et trois collets de toile, deux à fraise et un renversé, ainsi que les portoient les dames de la cour. »

D’Aubigné, dans son style frénétique, peint avec plus de détail les singuliers costumes du roi très-chrétien et ajoute :

Pour nouveau parement, il porta tout ce jour
Cet habit monstrueux, pareil à son amour ;
Si, qu’au premier abord, chacun étoit en peine,
S’il voyoit un roi femme ou bien un homme reine.

Eh bien ! croirait-on que Desportes eut l’extrême condescendance de flatter dès ses débuts, et de flatter en public cette révoltante sophistication de l’amour ? Il compare adroitement le prince avec Achille à Scyros, portant des habits féminins :

Lorsque le preux Achille étoit entre les dames,
D’un habit féminin déguisé finement,
Sa douceur agréable, en cet accoutrement,
Allumoit dans les cœurs mille amoureuses flammes.

En voyant ses attraits, sa façon naturelle,
Les beaux lys de son teint, son parler gracieux,
Les roses de sa joue et l’éclair de ses yeux,
On ne l’estimoit pas autre qu’une pucelle[1].

Mais Achille n’était pas seulement beau comme une jeune fille, il était encore vaillant comme un héros. Le duc lui ressemble de tous points : il nous fait voir, dit le poëte, Mars et Vénus ensemble[2]

  1. Voyez la fin de la pièce, page 456 ; qu’il me soit permis de faire remarquer ce beau vers :

    Les roses de sa joue et l’éclair de ses yeux.

  2. C’est certainement à Desportes que s’attaque d’Aubigné, quand il traîne