Plus en la poursuivant mon ame est embrasée !
La peine et la longueur ne me peut retenir,
Contre tous les malheurs j’oppose ma constance,
Et pour m’encourager il suffit que je pense
Que nul autre que moy n’espere y parvenir.
Car mon cœur genereux à rien ne se peut plaire,
Que j’estime qu’un autre ait espoir de parfaire ;
Un Dieu pour compagnon je ne puis recevoir ;
Je veux suivre tout seul ce que je me propose,
Et encore en amour, plus qu’en toute autre chose,
Je fuy les compagnons et n’en veux point avoir.
J’aimeroy beaucoup mieux supporter la rudesse
Et l’orgueil dedaigneux d’une fiere maistresse,
Qui mesprisast tout autre au fort de mon esmoy,
Qu’estre dessous le joug d’une plus pitoyable,
Qui pour me retenir se rendist favorable,
Mais qui favorisast les autres comme moy.
Ainsi qu’un grand torrent qui les plaines menace,
S’écoulant en ruisseaux perd sa premiere audace,
Et l’effort qui d’orgueil le faisoit escumer ;
Ainsi l’amour d’un seul est plein de violance,
Mais quand on le divise il perd toute puissance,
Qui aime en plus d’un lieu ne sçauroit bien aimer.
D’une seule lumiere en la nuict allumée
L’ombre entiere se fait, qui se perd consumée
Par les rayons espars des flambeau d’alentour ;
Ainsi d’un seul desir la vraye amour est faite,
Qui s’affoiblist par nombre et demeure imparfaite.
Le desir divisé ne se peut dire amour.
J’accompare une dame en cent lieux embrasée,
Au miroir qui reçoit toute image opposée,
Et n’en retient pourtant aucune impression ;
Ainsi dans son esprit de legere nature,
Ce qu’elle voist luy plaist, elle en prend la figure,
Mais le perdant des yeux le perd d’affection.
Je ne m’estonne plus d’ouyr tant de complaintes
De ces amans legers, dont les amours sont faintes,
Finissans aussi tost qu’ell’ ont commencement ;
L’homme n’en est pas cause, encor qu’il soit muable ;
Mais il ne sçauroit rendre un bastiment durable,
De la foy d’une femme ayant fait fondement.
Deux beaux yeux, un beau teint, une bouche vermeille,
Un propos qui ravit les hommes de merveille,
Rendent bien un amant du feu d’Amour espris :
Mais, pour nourrir sa flamme et la faire éternelle,
Il le faut asseurer d’une amour mutuelle,
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