Et ne merite pas que le bel œil du jour
Luise aux siens, desdaignez des lumieres d’Amour.
Or de moy qui n’ay point de roc en la poitrine,
Qui ne suis point conceu des flots de la marine,
Animé d’un beau sang, d’un esprit et d’un cœur,
Je reconnoy Amour pour maistre et pour vainqueur,
Et, quand de luy desplaire il me prendra l’envie,
Que les flammes du ciel mettent fin à ma vie !
Encor qu’en le suivant et vivant amoureux
Je sois diversement heureux et malheureux.
Vrayment je suis heureux, il faut que je l’advouë,
Et que des loix du ciel hautement je me louë,
De ce que le destin, captivant ma raison,
L’ait au moins asservie en si digne prison ;
Et tant selon mon gré m’ait rendu tributaire,
Que son decret forcé m’est un choix volontaire.
Car tout le plus parlait qui peut mieux contenter
L’œil, l’oreille et l’esprit, jusqu’à faire gouster
Icy bas des douceurs qui ravissent les ames,
Se rassemble au sujet d’où ruissellent mes flames ;
Et c’est ce qui me fait bien heureux estimer
Sentant d’un trait si beau ma poitrine entamer,
Et me plais dans le feu dont j’ay l’ame embrasée,
Comme une jeune fleur s’égaye à la rosée.
Mais, si de ce penser naist mon ravissement,
Il donne à mes ennuis vie et nourrissement ;
De mon esprit confus c’est la guerre incertaine.
Deux ruisseaux différens coulent d’une fontaine,
L’amertume et le doux, la joye et la douleur :
Ce qui me rend heureux fait naistre mon malheur,
Car l’heur qui jusqu’au ciel rend mon ame élevée,
C’est quand je me souviens comme elle est captivée,
Et que mon premier vol s’est si haut élancé,
Que des plus braves cœurs tout dessein j’ay passé
Et, sans aucun respect de crainte ou de menace,
Jusqu’au troisiesme ciel j’ay poussé mon audace.
Or si par les desirs le courage est jugé,
Quel desir fut jamais si dignement logé ?
Veu que l’enfant Amour, fait nouveau Promethée,
Du ciel pour m’embraser a la flamme empruntée.
Suis-je donc pas heureux de m’estre ainsi rendu ?
Jamais homme avant moy ne s’est si bien perdu.
Certes, je reconnoy que c’est un heur suprême,
Mais il est tallonné d’un malheur plus extrême,
Et les mordans soupirs, qui tiraillent mon cœur,
Font que le desespoir s’en rend du tout vainqueur :
Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/339
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.