Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/421

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Nouveau rocher luy-mesme et sans nul mouvement,
Tant ce coup impreveu trouble son jugement !
Puis il relit encore et, cherchant, il essaye
À pouvoir trouver fausse une histoire si vraye,
Mais ce qu’il voit empraint ne se peut dementir,
Et luy faut à ses yeux malgré luy consentir.
Il n’a plus sur le front cette audace engravée,
Il a le teint jaunastre et la face cavée ;
Son cœur est si serré, qu’il ne sçauroit pleurer,
Ni du chaud estomach une plainte tirer ;
Mais tout pantoisement il halette de rage ;
Car le flux debordé, qui grossit son courage.
Veut sortir tout à coup, et se pousse et se suit,
Mais au lieu d’avancer se bouche le conduit,
Comme le vase estroit dont l’eau, pour sortir toute,
S’empesche et se contraint de filer goute à goute.
Si ne veut-il se rendre, ains tasche à s’alleger,
Ne croyant que sa dame ait l’esprit si leger,
Mais que quelque jaloux, d’une ame injurieuse,
A tramé tout cecy pour la rendre odieuse.
« Las ! dit-il, quel qu’il soit, comme il a de bien près
Imité sa main belle, et sa lettre et ses traits ! »
Ainsi d’un foible espoir sa douleur il console,
Et se remet un peu du soucy qui l’affole.
Il remonte à cheval sur le point de la nuit,
Lorsque desjà la lune au ciel claire reluit,
Et que Phebus lassé dans la plaine azurée
Va plongeant le tresor de sa tresse dorée.
Cheminant sans chemin, or’ à gauche, or’ à droit,
Il n’avance beaucoup que d’un haut tertre il voit
Haut rejaillir du feu d’une maison prochaine,
Oit abayer les chiens et, sortans de la plaine,
Il entendit béeler les innocens troupeaux,
Et les mugissemens des bœufs et des toreaux.
Il vient droit au village, où tout las veut descendre.
Et soudain un garçon son cheval luy vint prendre,
Un autre le desarme et, du haut jusqu’au bas,
Un autre met la nappe et la couvre de plas.
Mais l’accez continu du mal qui luy commande
Le degouste si fort, qu’il n’a soin de viande ;
Plus cherche de repos, plus trouve de langueur
Et d’aiguillons poignans qui penetrent son cœur ;
Car il voit tout partout, aux fenestres et portes,
Angelique et Medor lacez de mille sortes.
Quelquefois il vouloit la cause en demander,
Mais une froide peur ne luy fait hazarder