Puis doucement porté dans ma proche maison,
La belle en prend le soin tant qu’il ait guarison.
« Il reprint aussi-tost sa beauté coustumiere :
Il avoit les yeux noirs, flamboyans de lumiere,
La face ouverte et belle et le teint blanchissant,
Rehaussé par endroits d’un émail rougissant.
C’estoit le mesme amour ; l’or de sa tresse blonde
Faisoit honte aux cheveux de ce grand œil du monde.
Bref, il estoit si beau, qu’Angelique l’aima
(La nimphe avoit ce nom) et si bien s’enflama,
Qu’elle mesprise tout et n’est plus ententive
Qu’à guarir le cruel qui la fait mourir vive,
Ore froide, ore chaude ; et, comme il guerissoit,
La belle une autre playe en son ame reçoit.
S’il reprend sa beauté, le chaud-mal, qui la tuë,
Fait que de plus en plus la sienne diminuë
Et se consume, ainsi qu’on voit dessus un mont
Aux rayons du soleil la neige qui se fond ;
Et luy faut à la fin, tant son desir la donte,
Qu’elle chasse de soy toute craintive honte
Pour demander mercy, tout à l’heure octroyé.
Et le tans du depuis est par eux employé
En tous ces jeux mignards, où doucement se bagnent
Ceux-là que la jeunesse et l’Amour accompagnent.
« Oubliant la douleur qui les avoit pressez,
Ils se tiennent sans fin l’un et l’autre embrassez.
S’ils partent du logis ils vont tousjours ensemble,
Et l’Amour avec eux, qui leurs deux cœurs assemble.
Or’ ils sont dans un bois estendus à l’envers,
Or’, sur le chaud du jour, ils se tiennent couvers
De l’ombrage d’un antre, et, à lesvres decloses,
Ils cueillent mille œillets, mille lis, mille roses ;
Puis, témoins de leurs jeux, ne se trouve arbrisseau,
Qu’or’ avec un poinçon, or’ avec un couteau,
Ils n’y gravent leurs noms ; mesme la roche tendre
Par maints chiffres subtils leurs amours fait entendre.
Voilà comme un bon cœur ne doit jamais faillir,
Pour quelque grand meschef qui le vienne assaillir.
Car lorsque nous pensons estre plus miserables,
C’est alors que les cieux nous sont plus favorables. »
Ainsi dit le pasteur, et laisse là Roland,
Qui dedans et dehors de rage est tout brûlant.
Il veut celer son dueil, mais rien : car, quoy qu’il face,
Les douleurs de son cœur se font voir sur sa face,
Et, bien qu’il se contraigne, il verse sans repos
De la bouche et des yeux des pleurs et des sanglots.
Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/423
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.