Les larmes des amans, leurs soupirs et leurs cris,
Sentier trop rebattu des poëtiques esprits.
Villeroy, mon support, l’ardeur qui me commande
Me veut faire entreprendre une tasche plus grande,
La mort de Rodomont, le contempteur des dieux,
Qui fit trembler vivant l’air, la terre et les cieux ;
Qui fit rougir de sang les campagnes de France,
Grand de corps, grand de force et plus grand d’arrogance,
Et comme, quand Roger aux enfers l’envoya,
Caron tout estonné le voyant s’effroya,
L’enfer trembla de peur, Pluton paslit de crainte,
Et Proserpine aussi de frayeur fut attainte ;
Megere en tressaillit et ses crins enlacez
De serpens furieux se tindrent tous pressez,
Tant cette ame enragée, inhumaine et terrible
Faisoit de tintamarre et se monstroit horrible !
Un jour, à son malheur, ce brave roy d’Arger,
Ainsi que l’on faisoit les nopces de Roger,
Qu’on s’estoit mis à table et qu’on avoit pris place,
Chacun selon son rang, son merite ou sa race,
Et que les chevaliers, sur la fin du repas,
Devisoient seurement des perilleux combats,
Des sieges, des assauts, des murailles forcées,
S’égayans au recit des fortunes passées,
Au fort de leur discours ce superbe arrivant,
Voyant Charles à table et Roger plus avant,
Fierement les regarde et lasche une menace.
« C’est moy, dit-il, Roger ; je suis le roy de Sarse,
Qui viens pour te combattre, et qui te veux monstrer
Qu’un si lasche que toy ne se peut rencontrer.
Tu as trahy ta foy, tes amis et ton maistre,
Et miserable encor tu ne crains de paroistre
Entre ces palladins, qui, selon leur devoir,
Ne peuvent saintement entr’eux te recevoir,
Car un si meschant traistre est digne qu’on le fuye,
Et que le ciel vengeur par mes mains le chastie.
Ainsi que je feray prontement devant tous,
Si, plein de lâcheté, tu ne fuis mon courroux.
Mais si tu n’as le cœur assez bon pour m’attendre,
Choisis avecque toy ceux que tu voudras prendre,
Quatre, six, douze, vingt, je vous le maintiendray,
Et de tes trahisons la vengeance prendray. »
Il finit sa menace, œilladant l’assemblée,
Qu’une telle insolence avoit toute troublée.
Les deux fils d’Olivier, Sanson, Renaud, Roland,
Sentent mouvoir dedans un desir violant
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