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Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/438

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« Helas ! chers citoyens de ces lieux effroyables,
Maintenant au besoin soyez-moy secourables ;
Et si n’avez pitié de mes gemissemens,
Prenez au moins pitié de vos cruels tourmens.
Car qui s’opposera brave à ce temeraire,
Je le rens delivré de toute sa misere,
Du gel, du feu, du fer et des maux rigoureux
Que Minos fait souffrir aux esprits malheureux ;
Et sera le premier aupres de ma personne,
Comme tenant de luy mon sceptre et ma couronne.
À ces mots de Pluton, on voit de toutes parts
Sortir du creux manoir les plus braves soldarts,
Ceux qui durant leur vie avoient troublé la terre,
Cerveau ambitieux, par une injuste guerre ;
Les tyrans convoiteux, les meurtriers inhumains,
Qui du sang innocent avoient souillé leurs mains ;
Les traistres, les mutins, les semeurs de querelles,
Les esprits envieux, les amis peu fidelles,
Ceux qui avoient le droit par argent violé,
Ou vendu lâchement leur pays desolé.
Chacun à qui mieux mieux veut monstrer son courage,
Mais Pluton les renvoye et leur tient ce langage :
« Non, ce n’est point en vous qu’il me faut esperer,
Esprits foibles et vains, allez-vous retirer :
Il faut qu’un chef vaillant, un conducteur d’armée,
Un qui ait en cent lieux planté sa renommée
Par le glaive trenchant, et qui, d’un brave effort,
Aux guerriers plus fameux ait fait trouver la mort,
Courageux et vaillant s’arme pour ma deffense,
Et contre ce hautain esprouve sa puissance. »
L’esprit du roi Gradasse, entendant tout cecy :
« Cesse, dit-il, Pluton, de te mettre en soucy ;
Car puis qu’un chef vaillant, un conducteur d’armée.
Un qui ait par le fer planté sa renommée,
Un qui ait fait trembler les plus braves guerriers,
Un qui soit couronné de cent mille lauriers,
Se doit armer pour toy, c`est moy qui le doy faire,
T’aidant contre le ciel, si le ciel t’est contraire.
« Au seul bruit de mon nom qui volle en mille lieux,
J’ay remply de frayeur les plus audacieux,
J’ay rendu par mon bras l’Espagne surmontée,
J’ay fait trembler de peur la France espouvantée,
Et suis venu à bout de deux vœux que j’ay faits,
Qui eussent peu courber le dieu Mars sous le faix.
Pour les premiers essais de ma verde jeunesse,
Fuyant les voluptez et la molle richesse,