Renaud le sceut apres, mais ayant connoissance
Long-tans auparavant, par longue experiance,
De l’amour feminine et de sa fermeté,
Il creut fort aisément cette legereté,
Et la dissimula d’une façon plus sage,
Bien qu’il sentist au cœur de grand’s pointes de rage ;
Il se plaignit pourtant, mais ce fut tellement
Qu’on ne penetroit point son ennuy vehement,
Ni le poignant despit qui blessoit sa pensée,
Car il tenait sa langue et sa lèvre pressée,
Soupirant sans mouvoir comme tout esperdu,
Et parlant dans le cœur sans qu’il fust entendu ;
Puis quand il eut fait trève à sa douleur terrible,
Et qu’elle l’eut remis en estat plus paisible :
« Sera-t-il vray, dit-il, que j’aille plus suivant
Une ingrate, muable aussi-tost que le vant,
Qui de flamme nouvelle à toute heure est saisie,
Suivant pour tout conseil sa seule fantaisie,
Sans foy, sans jugement ? qui a mis en mespris
Tant de grands chevaliers de ses beautez espris,
Pour suivre un estranger inconnu par le monde,
Qui n’a rien qu’un beau teint et la perruque blonde ? »
Ainsi parloit Renaud, et sur l’heure il sentit
Un dédain violant qui sa flamme amortit ;
Il n’a plus dans le cœur l’affection premiere,
Sa volonté n’est plus de l’Amour prisonniere,
Sa dame luy déplaist, et ne trouve plus beaux
Ses yeux qui luy sembloient deux celestes flambeaux ;
Il juge pallissant le coral de sa jouë,
Et ne sçauroit souffrir que personne la louë ;
Mais en s’appellant sot, il nomme malheureux
L’an, le mois et le jour qu’il devint amoureux.
Il reste Sacripant, lequel ne sent encore
La brûlante poison qui les autres devore,
Mais trop plus que jamais a le cœur enflammé ;
Chetif, qui meurt d’amour et qui n’est point aimé !
Toutesfois il le pense, et son mal il soulage,
Croyant que pour le moins nul ne l’est davantage.
C’estoit en la saison que les prez sont couverts,
Les forests et les champs, d’accoustremens tous verds,
Que l’air est chaud d’amour, et que le doux zephyre
Navré d’un poignant trait si bassement soupire,
Lors que les petits bleds seulement verdoyans
S’enflent au gré du vent, comme flots ondoyans ;
Que Progné se lamente et que le bois resonne
Des accords de sa sœur, qui ses plaintes entonne.
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