Page:Œuvres de Robespierre.djvu/190

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du voile du bien public et de l’intérêt du peuple, et qui ne cherchent qu’à l’asservir et le vendre au despotisme ? Comment vous développerai-je la politique ténébreuse de Tibère ? Comment les avertirai-je que ces pompeux dehors de vertus dont il s’est tout-à-coup revêtu ne cachent que le dessein de consommer plus sûrement cette terrible conspiration qu’il trame depuis longtemps contre le salut de Rome ? Eh ! devant quel tribunal voulez-vous que je lutte contre lui ? Sera-ce devant le préteur ? mais s’il est enchaîné par la crainte ou séduit par l’intérêt. Sera-ce devant les édiles ? mais s’ils sont soumis à son autorité, s’ils sont à la fois ses esclaves et ses complices ? Sera-ce devant le sénat ? mais si le sénat lui-même est trompé ou asservi ? Enfin, si le salut de la patrie exige que j’ouvre les yeux à mes concitoyens sur la conduite même du sénat, du préteur et des édiles, qui jugera entre eux et moi ?

Mais une autre raison sans réplique semble achever de mettre cette vérité dans tout son jour. Rendre les citoyens responsables de ce qu’ils peuvent écrire contre les personnes publiques, ce serait nécessairement supposer qu’il ne leur serait pas permis de les blâmer sans pouvoir appuyer leurs inculpations par des preuves juridiques. Or, qui ne voit pas combien une pareille supposition répugne à la nature même de la chose, et aux premiers principes de l’intérêt social ? Qui ne sait combien il est difficile de se procurer de pareilles preuves ; combien il est facile au contraire à ceux qui gouvernent d’envelopper leurs projets ambitieux des voiles du mystère, et de les couvrir même du prétexte spécieux du bien public ? N’est-ce pas même là la politique ordinaire des plus dangereux ennemis de la patrie ? Ainsi ce serait ceux qu’il importerait le plus de surveiller qui échapperaient à la surveillance de leurs concitoyens. Tandis que l’on chercherait les preuves exigées pour avertir de leurs funestes machinations, elles seraient déjà exécutées, et l’état périrait avant que l’on eût osé dire qu’il était en