Page:Œuvres de Schiller, Théâtre I, 1859.djvu/11

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PRÉFACE DE SCHILLER


Que l’on considère cette pièce comme étant simplement un récit dramatique, qui met à profit cet avantage inhérent à la méthode du drame, de prendre, en quelque sorte, l’âme sur le fait, dans ses opérations les plus secrètes, mais qui ne prétend pas, du reste, se renfermer dans les limites d’une pièce de théâtre, ni être jaloux du bénéfice si douteux de la personnification théâtrale. On m’accordera que c’est une exigence absurde de vouloir qu’on fasse connaître à fond en trois heures trois hommes extraordinaires, dont l’activité dépend de mille rouages peut-être ; de même que l’on conviendra qu’il ne peut être dans la nature que trois hommes extraordinaires se dévoilent en vingt-quatre heures, même aux yeux les plus exercés à lire dans les âmes. Mon sujet m’offrait une abondance et une complication de réalités qu’il m’était impossible de comprimer entre les palissades par trop étroites d’Aristote et de Batteux. Mais c’est encore bien moins la dimension que le contenu de ma pièce qui la bannit du théâtre. L’économie de l’ouvrage exigeait qu’il parût sur la scène maint caractère qui choque le sentiment délicat de la vertu et révolte la susceptibilité de nos mœurs. Tout peintre des hommes est réduit à cette nécessité, s’il veut offrir une copie du monde réel, et non un idéal affecté et des hommes en raccourci. Après tout, tel est l’usage dans ce monde : les méchants mettent les bons en relief, et c’est à son contraste avec le vice que la vertu doit son plus vif coloris. Si l’on s’est proposé pour but de terrasser le vice et de venger de leurs ennemis la religion, la morale, les lois sociales, il faut dévoiler le vice dans son affreuse nudité, et le placer devant les yeux de l’humanité dans sa colossale grandeur ; il faut, pour un