Page:Œuvres de Schiller, Théâtre I, 1859.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

instant, s’engager soi-même dans les ténébreux labyrinthes du mal, et savoir entrer, en se faisant violence, dans des sentiments contre nature sous le joug desquels l’âme se révolte.

Le vice est ici mis à nu avec tous ses ressorts intérieurs. Dans le personnage de Franz, il résout en abstractions impuissantes les terreurs confuses de la conscience, il dissèque les arrêts du sens intime, et étouffe par ses railleries la voix austère de la religion. Pour qui en est venu (gloire que nous ne lui envions pas) à raffiner son esprit aux dépens de son cœur, les choses les plus saintes ne sont plus saintes… l’humanité, la divinité ne sont rien… ce monde n’est rien, non plus que l’autre. J’ai essayé de tracer le portrait frappant et vivant d’un homme-monstre de cette espèce, d’analyser le mécanisme complet de son système de perversité… et d’en éprouver la force aux prises avec la vérité. Qu’on voie donc et apprenne, en suivant cette histoire, jusqu’à quel point elle atteint ce but. Je pense que j’ai saisi la nature.

Tout près de lui est un autre personnage qui pourrait bien jeter dans une grande perplexité bon nombre de mes lecteurs : un caractère que l’excès du vice ne séduit que par la grandeur qui y est attachée, par la force qu’il exige, par les dangers qui l’accompagnent ; un homme remarquable et richement doué, qui doit nécessairement, selon la direction donnée aux forces qu’il a en partage, devenir un Brutus ou un Catilina. Des circonstances malheureuses le poussent dans la seconde voie, et ce n’est qu’au terme des plus monstrueux égarements qu’il arrive à la première. De fausses idées d’activité et d’influence, une surabondance de force qui déborde par delà toutes les lois, devaient naturellement aller se briser contre la barrière des relations sociales, et à ces rêves enthousiastes de grandeur et d’action efficace ne pouvait s’associer qu’une âpre amertume contre ce monde qui est si loin de l’idéal. Ainsi s’est trouvé fait et achevé cet étrange don Quichotte que nous abhorrons et aimons, admirons et plaignons, dans le brigand Moor. J’espère qu’il est inutile de faire observer que ce n’est pas seulement à des brigands que je présente ce portrait : la satire espagnole ne flagelle pas non plus uniquement des chevaliers.

C’est aussi le grand genre aujourd’hui de donner carrière à