en général que la nature a un but. Ainsi les beaux-arts ont le même but que la nature, ou plutôt que l’auteur de la nature : et ce but, c’est de répandre le plaisir et de faire des heureux. Ils nous procurent en se jouant ce qu’aux autres sources plus austères du bien de l’homme il nous faut d’abord puiser avec peine ; ils nous prodiguent en pur don ce qui ailleurs est le prix de tant de rudes efforts. De quels labeurs, de quelle application ne nous faut-il pas payer les plaisirs de l’entendement ! de quels sacrifices douloureux, l’approbation de la raison ! de quelles dures privations, les joies des sens ! Et, si nous abusons de ces plaisirs, quelle suite de maux pour en expier l’excès ! L’art seul nous assure des jouissances qui n’exigent aucun effort préalable, qui ne coûtent aucun sacrifice, et qu’il ne faut payer d’aucun repentir. Mais qui pourrait ranger dans une même classe le mérite de charmer de cette manière, avec le triste mérite d’amuser ? Qui s’avisera de contester la première de ces deux fins aux beaux-arts, uniquement parce qu’ils tendent plus haut que la dernière ?
Cette préoccupation, très-louable d’ailleurs, de poursuivre partout le bien moral comme le but suprême, préoccupation qui a déjà fait éclore et patronné, dans l’art, tant de choses médiocres, a causé aussi, dans la théorie, un semblable préjudice. Pour convier les beaux-arts à prendre un rang vraiment élevé, pour leur concilier la faveur de l’État, la vénération de tous les hommes, on les pousse hors de leur domaine propre : on leur impose une vocation qui leur est étrangère et tout à fait contraire à leur nature. On croit leur rendre un grand service en substituant à un but frivole, celui de charmer, un but moral ; et leur influence sur la moralité, influence qui saute aux yeux, milite nécessairement en faveur de cette prétention. On trouve illogique que ce même art, qui contribue dans une si grande mesure au développement de ce qu’il y a de plus élevé dans l’homme, ne produise cet effet qu’accessoirement, et fasse sa préoccupation principale d’un but aussi vulgaire qu’on se figure qu’est le plaisir. Mais cette contradiction apparente, il nous serait très-facile de la concilier, si nous avions une bonne théorie du plaisir, un système complet de philosophie esthétique. Il résulterait de cette théorie qu’un plaisir