Page:Œuvres de Schiller, Esthétiques, 1862.djvu/216

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gymnase forment, il est vrai, des corps athlétiques, mais ce n’est que par le jeu libre et égal des membres que se développe la beauté. De même la tension des forces spirituelles isolées peut créer des hommes extraordinaires, mais ce n’est que l’équilibre bien tempéré de ces forces qui peut produire des hommes heureux et accomplis. Et dans quel rapport nous trouverions-nous avec les âges passés et futurs, si le perfectionnement de la nature humaine rendait indispensable un pareil sacrifice ? Nous aurions été les esclaves de l’humanité ; pour elle, pendant quelques milliers d’années, nous nous serions consumés dans des travaux serviles , et nous aurions imprimé à notre nature mutilée les honteux stigmates de cet esclavage : et tout cela afin que les générations à venir pussent, dans un heureux loisir, se consacrer au soin de leur santé morale, et développer par leur libre culture la nature humaine tout entière.

Mais, en vérité, l’homme peut-il être destiné à se négliger lui-même pour un but quel qu’il soit ? Par les fins qu’elle nous assigne, la nature pourrait-elle nous ravir une perfection que les fins de la raison nous prescrivent ? 11 doit donc être faux que le perfectionnement des facultés particulières rende nécessaire le sacrifice de leur totalité ; ou, lors même que la loi de la nature aurait impérieusement cette tendance, il doit être en notre pouvoir de reconstituer, par un art supérieur, cette totalité de notre essence que l’art a détruite.