Page:Œuvres de Schiller, Esthétiques, 1862.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lettre IX

Mais n’y aurait-il pas là un cercle vicieux ? La culture théorique doit amener la culture pratique, et néanmoins celle-ci doit être la condition de celle-là. Toute amélioration dans la sphère politique doit procéder de l’ennoblissement du caractère ; mais, soumis aux influences d’une constitution sociale encore barbare, comment le caractère peut-il s’ennoblir ? Il faudrait donc chercher pour cette fin un instrument que l’État ne fournît pas , ouvrir des sources qui se fussent conservées pures au sein de la corruption politique.

Me voilà arrivé au point vers lequel ont tendu toutes les considérations auxquelles je me suis livré jusqu’à présent. Cet instrument, c’est l’art du beau ; ces sources, elles sont ouvertes dans ses modèles immortels.

L’art est affranchi, comme la science, de tout ce qui est positif et de ce qui a été introduit par les conventions humaines : l’un et l’autre sont complétement indépendants de la volonté arbitraire de l’homme. Le législateur politique peut mettre leur empire en interdit, mais il n’y peut régner. Il peut proscrire l’ami de la vérité , mais la vérité subsiste ; il peut avilir l’artiste, mais il ne peut altérer l’art. Sans doute, rien n’est plus ordinaire que de voir la science et l’art s’incliner devant l’esprit du temps, et le goût créateur recevoir la loi du goût critique. Quand le caractère devient raide et prend de la dureté, nous voyons la science surveiller sévèrement ses frontières et l’art soumis à la dure contrainte des règles ; quand le caractère se relâche et s’amollit, la science s’efforce de plaire