Page:Œuvres de Schiller, Histoire II, 1860.djvu/560

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et sans passion, et procurer une agréable distraction à l’esprit et au cœur du lecteur que le spectacle des événements actuels tantôt révolte et tantôt abat. Au milieu de ce tumulte politique, il doit former pour les Muses et les Grâces un cercle étroit et intime, d’où sera banni tout ce qui porte l’empreinte d’un impur esprit de parti. Mais en s’interdisant toute allusion à la marche présente de ce monde et aux perspectives les plus prochaines de l’humanité, il interrogera sur le passé du monde l’histoire, et sur son avenir la philosophie ; il recueillera des traits partiels de ce bel idéal de l’humanité ennoblie, que la raison nous présente, mais que dans la pratique on perd de vue si aisément, et il travaillera, selon ses moyens, à cet édifice qui doucement s’élève, des idées meilleures, des principes plus purs, des mœurs plus nobles : choses d’où dépend finalement toute véritable amélioration de l’état social. C’est là le seul but qu’on poursuivra, soit en se jouant, soit sérieusement, dans le cours de cette publication ; et, quelque diverses que puissent être les voies qu’on s’ouvrira à cet effet, toutes tendront plus ou moins directement à favoriser les vrais progrès de l’humanité. On s’efforcera de conduire au vrai par l’entremise du beau, et de donner au beau, par le vrai, un durable fondement et une plus haute dignité. Autant que cela est possible, on cherchera à dépouiller les résultats de la science de leur enveloppe scolastique, et à les rendre intelligibles pour le sens commun par une forme attrayante ou tout au moins simple. Mais, en même temps, on se proposera une autre fin : celle de faire, dans le domaine de l’observation, des acquisitions nouvelles pour la science, et de découvrir des lois là où il semble uniquement que le hasard se joue et que le caprice règne. De la sorte on espère contribuer à renverser ce mur de séparation qui s’élève, au détriment de tous deux, entre le beau monde et le monde savant ; on espère introduire de solides connaissances dans la vie sociale, et le goût dans la science.

On tendra, autant que nulle fin plus noble n’en souffrira, à la variété et à la nouveauté ; mais on ne sacrifiera en aucune façon à ce goût frivole qui cherche le nouveau uniquement parce qu’il est nouveau. Au reste, on se donnera toute liberté comptable avec les bonnes et belles mœurs.

La bienséance et le bon ordre, la justice et la paix seront donc l’esprit et la règle de ce journal ; les trois Heures, fraternellement unies, Eunomia, Dicé et Iréné, le dirigeront. Dans ces divines figures le Grec vénérait l’ordre qui conserve le monde, d’où découle tout bien, et qui trouve son plus frappant emblème dans le mouvement uniforme du cours du soleil. La fable les nomme filles de Thémis et de Jupiter, de la Loi et de la Puissance : de la Loi qui en même temps, dans le monde des corps, préside aux vicissitudes des saisons, et maintient l’harmonie dans le monde des esprits.

Ce furent les Heures qui reçurent, à sa première apparition dans l’Ile de Cypre, Vénus à peine née, qui la vêtirent de vêtements divins, et la conduisirent, ainsi parée de leurs mains, dans le cercle des Immortels : charmante fiction qui fait entendre que le beau, dès sa naissance, doit se soumettre à des règles, et qu’il ne peut devenir digne que par son obéissance à la loi d’obtenir une place dans l’Olympe, et l’immortalité, et une