Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/239

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toujours cause de perte pour ceux qu’ils possèdent.

(3) Très nombreux en effet sont les exemples d’hommes qui ont souffert la persécution et la mort à cause de leur richesse, et aussi d’hommes qui, pour s’enrichir, se sont exposés à tant de périls qu’ils ont fini par payer leur déraison de leur vie. Il n’y a pas moins d’exemples d’hommes qui, pour conquérir ou conserver l’honneur, ont pâti très misérablement. Innombrables enfin sont ceux dont l’amour excessif du plaisir a hâté la mort. Ces maux d’ailleurs semblaient provenir de ce que toute notre félicité et notre misère ne résident qu’en un seul point : à quelle sorte d’objet sommes-nous attachés par l’amour ? Pour un objet qui n’est pas aimé, il ne naîtra point de querelle ; nous serons sans tristesse s’il vient à périr, sans envie s’il tombe en la possession d’un autre ; sans crainte, sans haine et, pour le dire d’un mot, sans trouble de l’âme ; toutes ces passions sont, au contraire, notre partage quand nous aimons des choses périssables, comme toutes celles dont nous venons de parler. Mais l’amour allant à une chose éternelle et infinie repaît l’âme d’une joie pure, d’une joie exempte de toute tristesse ; bien grandement désirable et méritant qu’on le cherche de toutes ses forces. Ce n’est pas sans raison toutefois que j’ai écrit ces mots : si seulement je pouvais réfléchir sérieusement. Si clairement en effet que mon esprit perçût ce qui précède, je ne pouvais encore me détacher entièrement des biens matériels, des plaisirs et de la gloire.

(4) Un seul point était clair : pendant le temps du moins que mon esprit était occupé de ces pensées, il se détournait des choses périssables et sérieusement pensait à l’institution d’une vie nouvelle ; cela me fut une