Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/263

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impossible ensuite de la penser différemment. Par exemple, après que j’ai forgé (pour parler leur langage) telle idée sur la nature du corps, et que j’ai voulu, usant de ma liberté, me persuader que cette nature est telle dans la réalité, il ne m’est plus possible de forger l’idée d’une mouche infinie et, après que j’ai forgé l’essence de l’âme, je ne peux plus la faire carrée. Or, examinons. En premier lieu : ou bien l’on nie ou bien l’on accorde que nous pouvons connaître quelque chose. Si on l’accorde, on devra dire nécessairement de la connaissance ce qu’on dit de la fiction. Si on le nie, voyons, nous qui savons que nous savons quelque chose, ce que l’on dit. On dit ceci : l’âme peut sentir et percevoir de beaucoup de manières, mais non se percevoir elle-même, non plus que les choses qui existent ; elle ne perçoit que les choses qui ne sont ni en soi ni quelque part que ce soit ; autrement dit, l’âme pourrait, par sa seule force, créer des sensations et des idées ne correspondant point à des choses ; de telle sorte qu’on la considère en partie comme un Dieu. On dit ensuite : nous avons la liberté de nous contraindre, ou, notre âme a la liberté de se contraindre, bien mieux, de contraindre sa propre liberté ; car, après qu’elle a forgé l’idée d’une chose et y a donné son assentiment, elle ne peut plus penser autrement cette chose ou en forger une autre idée, et cette fiction la contraint même à avoir des autres choses[N 1] des idées telles qu’il ne soit point contredit à la fiction ; comme ici même on est contraint, pour n’abandonner point sa fiction, d’admettre les absurdités que j’indique et auxquelles


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