Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solitude, la richesse, les honneurs, la gloire, les hautes amitiés. Il sacrifia tout cela sans effort, pour vivre heureux dans une paix profonde et une indépendance absolue. Son ami Simon de Vries s’avisa un jour de lui faire présent d’une somme de deux mille florins pour le mettre en état de vivre un peu plus à son aise ; mais Spinoza s’excusa civilement sous prétexte qu’il n’avait besoin de rien. Ce même ami, approchant de sa fin et se voyant sans femme et sans enfants, voulait faire son testament et l’instituer héritier de tous ses biens ; Spinoza n’y voulut jamais consentir, et lui remontra qu’il ne devait pas songer à laisser ses biens à d’autres qu’à son frère.

Un autre ami de Spinoza, l’illustre Jean de Witt, le força d’accepter une rente de deux cents florins ; mais ses héritiers faisant difficulté de continuer la rente, Spinoza leur mit son titre entre les mains avec une si tranquille indifférence qu’ils rentrèrent en eux-mêmes et accordèrent de bonne grâce ce qu’ils venaient de refuser.

L’électeur palatin Charles-Louis voulut attirer Spinoza à Heidelberg et chargea le célèbre docteur Fabricius de lui proposer une chaire de philosophie, avec la promesse de lui laisser la plus grande liberté, cum amplissima philosophandi libertate, pourvu toutefois qu’il n’en abusât pas pour troubler la religion établie. Spinoza répondit qu’il ne voyait pas clairement en quelles limites il faudrait renfermer cette liberté qu’on voulait bien lui promettre, et puis que les soins qu’il faudrait donner à l’instruction de la jeunesse l’empêcheraient d’avancer lui-même en philosophie.

Lors de la campagne des Français en Hollande, le prince de Condé, qui prenait alors possession du gouvernement d’Utrecht, désira vivement s’entretenir avec