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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/22

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ne peut se trouver que dans la pensée, et le plus haut degré de la connaissance humaine doit être le plus haut degré de l’humaine félicité. Le bonheur suprême n’est point un idéal fantastique, insaisissable à notre misère. Spinoza croit fermement que dès cette vie une âme philosophique y peut atteindre.

« La raison, écrit-il à Guillaume de Blyenbergh, la raison fait ma jouissance ; et le but où j’aspire en cette vie, ce n’est point de la passer dans la douleur et les gémissements, mais dans la paix, la joie et la sérénité[1]. »

D’où viennent en effet les maux et les agitations de l’âme ? « Elles tirent leur origine de l’amour excessif qui l’attache à des choses sujettes à mille variations et dont la possession durable est impossible. Personne, en effet, n’a d’inquiétude ni d’anxiété que pour l’objet qu’il aime, et les injures, les soupçons, les inimitiés n’ont pas d’autre source que cet amour qui nous enflamme pour des objets que nous ne pouvons réellement posséder avec plénitude[2].

« Au contraire, l’amour qui a pour objet quelque chose d’éternel et d’infini nourrit notre âme d’une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c’est vers ce bien si digne d’envie que doivent tendre tous nos efforts[3]. »

Cet objet éternel et infini, l’âme ne peut l’aimer, si elle ne le peut connaître. Mais qu’il lui soit donné de le concevoir avec clarté, elle pourra dès lors le posséder avec plénitude, et la jouissance épurée de cette posses-

  1. Lettre XVIII, tome III, page 401.
  2. Éthique, part. v, Schol de la Propos. XX.
  3. De la Réforme de l’Entendement, tome III, page 300.